Critiques // « Les Oiseaux » d’Aristophane par Alfredo Arias à la Comédie Française

« Les Oiseaux » d’Aristophane par Alfredo Arias à la Comédie Française

Avr 13, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Oiseaux » d’Aristophane par Alfredo Arias à la Comédie Française

Critique de Monique Lancri

Les Athéniens qui assistaient à « la première » des Oiseaux d’Aristophane, en 414 av. J.C. ont dû beaucoup s’amuser et bien rire, même si, comme c’est souvent le cas grâce à la catharsis que procure le théâtre, il ne leur restait plus que ce rire pour pleurer. En effet, la pièce débute avec le départ de deux Athéniens éplorés, écœurés qu’ils sont par les mœurs politiques de leur cité. En entendant des allusions directes à des personnes de notoriété publique nommément désignées, en reconnaissant ces déplorables traits de mœurs que sont les délations, les plaidoiries mensongères, les querelles et les chicanes qu’Aristophane se plaît à caricaturer et brocarder, le public devait littéralement pleurer de rire.

Selon Aristophane

Rappelons la fin de l’histoire : nos deux fuyards trouvent refuge chez les Oiseaux pour tenter de fonder, avec ceux-ci, une cité vraiment nouvelle car exempte de turpitude et de malversation. Bref, ils s’accoquinent à la gente volatile pour essayer de réaliser une Utopie. Une utopie de plus mais, hélas, c’est bien d’utopie qu’il s’agit. D’une part, jalousée des Dieux qui comprennent qu’ils y perdent de leur pouvoir, d’autre part, enviée des hommes, cette cité modèle se mue en un monde où la corruption s’installe derechef. Tout pouvoir pervertit celui qui le possède, telle est la conclusion désabusée à laquelle aboutit le dramaturge grec.

Selon Arias

La Comédie Française a eu l’idée légitime d’inscrire à son répertoire une pièce que les siècles ont consacrée comme l’une des œuvres majeures d’Aristophane. Encore fallait-il en moderniser les allusions pour la rendre compréhensible aux hommes du 21ème siècle. La tâche en a donc été confiée à Alfredo Arias.

Or, grande déception, hier soir, à la Comédie française ! Le texte d’Aristophane, presque totalement « déplumé », nous est apparu d’une platitude désolante. Aucune envolée lyrique ici, ni dans les dialogues, ni dans la mise en scène. Les allusions à l’actualité ne sont pas dignes d’un cabaret de chansonniers (même si, je dois le concéder, quelques rires fusaient bien parfois dans la salle).

Un mot sur la métaphore centrale, axe autour duquel gravite le spectacle : Alfredo Arias a choisi de faire du monde des Oiseaux le monde du théâtre. C’était son droit le plus strict ; convenons même que c’est une bonne idée. Mais l’idée ne s’incarne jamais dans les personnages, à même leur corps ou dans le corps de leurs mots. Comme cette idée qui oriente toute la mise en scène ne se fait pas chair, nous n’y croyons guère : la métaphore tout simplement ne prend pas.

Un mot sur les costumes (dus à Françoise Tournafond, intrinsèquement fort réussis) : emplumés comme ils le sont, l’oiseau Arlequin, l’oiseau Cyrano, et tous les autres (chacun selon sa culture, reconnaîtra en eux tel ou tel personnage de l’ample et prestigieux répertoire de la Comédie Française), tous ces oiseaux rutilants et coruscants sont, certes, bien jolis à voir, mais quel en est l’intérêt ? Si nous savons depuis Max Ernst que « ce n’est pas la colle qui fait le collage » nous savons maintenant, grâce à Arias, que la plume, non plus, ne fait pas le plumage et ne permet pas, à elle seule, le vol : jamais le spectateur ne « décolle » pour un envol poétique. En quoi, par ailleurs, Coucou-sur-scène (nom de cette imaginaire ville du théâtre uniquement peuplée de comédiens) pourrait-elle être le modèle d’une moderne utopie ? (Qui peut rêver d’une ville sans spectateurs, sans auteurs, sans peintres, sans musiciens, sans philosophes, etc. ? Pas même Arias, sans aucun doute).

Une belle image cependant, à mettre au crédit du metteur en scène. Une image qui se détache et qui fait tache car, bien qu’elle ne dure que quelques secondes, elle perdure après la représentation et travaille encore notre mémoire : à la fin, un énorme corbeau noir se profile en ombre chinoise sur le rideau de scène. Superbe vision mais sinistre prévision où s’emblématise un très sombre avenir.

Souhaitons qu’un auteur véritable prenne à bras-le-corps le chef d’œuvre d’Aristophane : pour en actualiser enfin le texte. L’échec d’Arias n’aurait-il servi qu’à susciter quelques vocations que nous lui en serions paradoxalement obligés.

Les Oiseaux
De : Aristophane
Traduction, adaptation et mise en scène : Alfredo Arias
Scénographie : Roberto Platé
Costumes : Franoise Tournafond
Lumières : Jacques Rouvveyrollis
Musique originale : Bruno Coulais
Avec : Catherine Salviat, Catherine Hiegel, Martine Chevallier, Alain Langlet, Céline Samie, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Shahrokh Moshkin Ghalam, Hervé Pierre et les élèves-comédiens de la Comédie Française Camille Blouet, Christophe Dumas, Florent Gouëlou, le Chœur, Géraldine Roguez, Chloé Schmutz, Renaud Triffault

Du 10 Avril au 18 juillet 2010

Comédie Française
Place Colette, 75 001 Paris
www.comedie-francaise.fr


Voir aussi
L’article d’Audren Destin

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