Critique d’Audren Destin –

On entend souvent que la première qualité d’un artiste est d’être une « éponge », capable d’absorber la matière qui l’entoure, de la contenir, pour ensuite la transformer en une œuvre originale. Mais combien de litres de vin blanc Jean-Marie Gourio a-t-il dû absorber pour recueillir ces brèves ?

« Après tout le café c’est la vie, c’est quand on a bu qu’on fait les enfants… »

L’alcool fait parfois des miracles, bien que ceux-ci soient généralement de courte durée, il donne du courage au pleutre, de la hardiesse au timide, transforme le fonctionnaire timoré en redoutable danseur de salsa, le petit chauve en brun ténébreux, mais surtout l’alcool a ce formidable pouvoir de délier les langues. Après quelques verres, l’esprit s’échauffe et l’on ressent soudain l’envie de se livrer, de se confier ou de se donner en spectacle, de partager, d’ouvrir son cœur. Partage qui se termine parfois dans une chambre inconnue à une heure avancée de la nuit.  Mais avant d’en arriver là, on parle, des heures durant, et on crie même, dans le brouhaha des bistrots, accoudés sur le zinc. De ces paroles, on ne garde bien souvent que peu de choses, parfois même rien d’autre qu’un violent mal de tête. C’est ici qu’intervient le travail de Jean-Marie Gourio, qui pendant des années, a fréquenté les bistrots, les cafés, les restaurants, tendant l’oreille, à l’affût de ces petites phrases incisives, ces pépites qui jaillissent au milieu de vagues conversations. Il a ainsi récolté, travail de patience et d’humilité, un grand nombre de phrases, compilées dans des recueils intitulés Brèves de Comptoir. C’est à partir de ces fragments que Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes ont construit tout un monde avec ses personnages.

« Lui, dans sa vie, il a tout bu, son foie, c’est un musée. »

Les brèves sont agencées selon les sept jours de la semaine. Ca commence un lundi matin, le patron ouvre le bar, puis arrivent la patronne et les clients habituels, la postière, l’artiste, le chômeur, le poivrot, celle qui boit son café à crédit. « J’aime pas le lundi, ça me gâche mon dimanche » dit la patronne. On est dans le bar parisien typique, avec la gouaille, les répliques qui fusent. Ces phrases originellement notées au hasard sont réunies autour de thèmes comme la chirurgie esthétique, le racisme, la mort ou la politique si bien qu’on a l’impression d’assister à de vraies conversations. Paroles d’ivrogne, elles témoignent des préoccupations du plus grand nombre avec humour et dérision. Chaque jour on est dans un bar différent, une ambiance différente. On passe du troquet parisien au bistrot alsacien. On croise un pêcheur, une putain, un fan de Johnny, une mariée ivre morte, tout un monde réuni autour d’une même passion : l’alcool.

« Elle sait pas comment faire plaisir alors elle fait chier »

Sagesse populaire ou philosophie de comptoir, la vocation de ce spectacle est avant tout de nous faire rire et sur ce point, grâce à une mise en scène efficace et au talent des comédiens, il tient largement ses promesses. Les éclats de rires sont presque continus. On y entend des belles choses mais aussi des horreurs et ça fait du bien.

Les Nouvelles Brèves de Comptoir
De : Jean-Marie Gourio
Adaptation : Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio
Mise en scène : Jean-Michel Ribes
Avec : Alban Casterman, Laurent Gamelon, Annie Grégorio, Patrick Ligardes, Chantal Neuwirth, Marcel Philippot, Alexis Ribes, Hélène Viaux
Décor : Jean-Marc Stehlé, assisté d’Antoine Fontaine
Costumes : Juliette Chanaud assistée de Christel Birot
Musique : Reinhardt Wagner
Lumières : Marie Nicolas
Bande son : Guillaume Monard
Assistante à la mise en scène : Camille Kiejman

Du 9 mars au 7 mai 2010

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris – 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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