Critique de Denis Sanglard –

Il y a à Paris un magnifique théâtre de verdure presque inconnu du grand public, faute d’une véritable direction artistique et d’une politique ambitieuse pour ce lieu qui vivote doucement et chichement. Le théâtre Shakespeare est une merveille. Un théâtre de verdure unique à Paris, implanté au bois de Boulogne, au pré Catelan, qu’illustrent cinq paysages Shakespearien encadrant la scène. La forêt d’Ardenne des bannis de Comme il vous plaira, La lande de Macbeth, Le saule et le ruisseau d’Ophélie dans Hamlet et la profusion floral du Songe d’une nuit d’été et la végétation de l’île de la Tempête.

Lequel fonctionne de mai à septembre avec une programmation des plus classique mais malheureusement pas toujours réussie du point de vue dramaturgique il faut le dire. Un manque d’exigence artistique malgré la bonne volonté des comédiens qui participent à cette aventure ponctuelle. Cela ne les sert malheureusement pas. Leur talent, pour certains, n’est pas à remettre en cause. Mais ce théâtre là est une belle endormie, gardée jalousement, qu’il faudrait sacrément secouer pour la sortir de sa léthargie. Il y a quelque chose de figé, de suranné, en ce lieu et sa programmation qui demanderait sans nul doute une véritable réflexion, pour ne pas dire révolution, pour en faire un vrai théâtre populaire avec une dynamique et un élan digne de ce lieu, ouvert davantage aux compagnies théâtrales et au public. Ce théâtre appartient à la ville de Paris. Si elle ne l’a pas oublié elle semble s’en être débarrassé au premier venu et se soucier comme d’une guigne de son avenir comme de son présent.

Il serait quand même dommage de ne rien dire des Mystères de Paris qui se joue en ce moment au Pré Catelan. Un vrai et bon mélodrame mis en scène par Arnaud Bruyère dans une adaptation remarquable de Michel Deque, un exploit au vu du roman foisonnant d‘Eugène Sue. Arnaud Bruyère a logiquement joué le jeu du mélo, sans jamais tomber dans la caricature, avec efficacité et simplicité. Une mise en scène inventive qui va droit au but non sans humour et clins d’œil. Pour un peu on se croirait revenu au temps du boulevard du crime. Il ne manque aucun ingrédient dans la recette. Mystère, suspense, émotion, retournement de situation, coup de théâtre…Tout est là. Dans un rythme qui ne faiblit pas, nous suivons comme des gosses les aventures de Fleur de Marie, la goualeuse, et de l’étrange Rodolphe dans le Paris puant et populaire d’avant la révolution de 1848. Transformer la cadre idyllique du Jardin Shakespeare en bouge n’allait sans doute pas de soi et pourtant, sans rien changer au lieu, chaque fourré semble bientôt cacher un assassin ou sa victime.
Les comédiens à l’unisson s’en donnent à cœur joie sans jamais tomber dans les excès propre au genre. Evidemment, bien évidemment, la part belle revient aux méchants. Et là nous sommes doublement servis. Le couple hideux que forment La Chouette et le Maître d’école est absolument terrifiant et grandiose. Marion Margyl en harpie machiavélique et Frédéric Roger en ancien bagnard assassin forment un duo d’ogres épatants de méchanceté complice. Affreux sales et méchants, ils jubilent. Et nous avec, bien sûr. Face à ses deux, Fleur de Marie (Aurore Saint-Martin) a la naïveté requise de l’innocente victime et Rodolphe (Olivier Banse) le port aristocratique parfait du justicier mystérieux. Serge Martinez, lui, est un Chourineur plus vrai que nature et l’intrigante Sarah (Sandrine Pocskaï) idoine de roublardise et de repentir. Même chaque second ou troisième rôle porte en lui une vérité de chromo, d‘image d‘Epinal. La troupe dans son ensemble porte cette création visiblement avec bonheur. Arnaud Bruyère a su leur insuffler une dynamique et une cohésion qui participe à la joie du public. Lequel se prend au jeu et commente l’action, s’esclaffe, soupire et applaudit à chaque rebondissement. Théâtre populaire ? Oui et alors ! Il n’y a pas de mal à se faire du bien…

Les Mystères de Paris
De : Eugène Sue
Adaptation : Michel Duque
Mise en scène : Arnaud Bruyère
Avec : Olivier Banse, Arnaud Bruyère, Florence Desmidt, Michel Dury, Rémi Goutalier, Jules Perez, Marion Margyl, Serge Martinez, Sandrine Pocskaï, Frédéric Roger, Jean-Louis Staneck, Aurore Saint-Martin, Thomas Vernhet
Cie Les Lustres Théâtre

Jusqu’au 31 juillet 2011

Théâtre de Verdure du Jardin Shakespeare
Pré Catelan, Bois de Boulogne, Route de la reine Marguerite, 75016 Paris – Réservations 01 40 19 95 33
www.jardinshakespeare.fr

Be Sociable, Share!

•