Critiques // « Les Lois de la Gravité » d’après Jean Teulé à la Manufacture des Abbesses

« Les Lois de la Gravité » d’après Jean Teulé à la Manufacture des Abbesses

Jan 21, 2011 | Aucun commentaire sur « Les Lois de la Gravité » d’après Jean Teulé à la Manufacture des Abbesses

Critique d’Ottavia Locchi

Quand le coupable est une faible victime…

Une femme vient avouer le meurtre de son mari dans un commissariat, la veille de la prescription. Voilà bientôt dix ans qu’elle est rongée de l’intérieur par ce meurtre qui n’en était pas forcément un. Le commissaire, touché par cette femme, mère de trois enfants, refuse de déposer sa plainte et de l’envoyer en prison. Les deux sont têtus, et ne veulent pas baisser la garde devant l’autre. Entre révélations et confessions, les rôles se brouillent et la coupable devient rapidement victime.

« Les Lois de la Gravité » démontre à quel point les mêmes événements peuvent différer selon le point de vue. Ainsi, cette mère coupable a, selon elle, commis l’inimaginable, l’assassinat de son propre époux. Que cet homme ait été un salaud fini, un dépressif alcoolique pervers suicidaire provocateur qui harcelait sa femme pour de l’argent et que le fait qu’elle l’ait poussé par la fenêtre ressemblait plus à un accident qu’autre chose ne rentre pas en ligne de compte : elle l’a poussé, ce sont ses mains qui se sont appuyées sur ses jambes pour le faire tomber. De l’autre côté, le commissaire ne peut pas envoyer une femme en prison, laissant trois enfants mineurs qui ont besoin d’elle, pour aller là où personne ne veut aller, là où sa vie s’arrêtera, et tout ça pour une petite dispute de rien du tout. De toutes façons il se serait bien fini tout seul un jour, le mari : ce n’est pas grave, ce n’est pas un vrai meurtre comme il en a vu, lui.
Les lois de cette gravité relative se confrontent, et le spectateur lui-même ne devine pas comment cette situation va se dénouer. qui cèdera, en fin de compte ? Car au-delà de l’homme et de la femme, c’est la justice qui combat contre elle-même. « Si le juge était juste, peut-être le criminel ne serait pas coupable » disait Dostoïevski. Qui peut juger de tout cela dans un commissariat, à 23h30 ?

La force des personnages se révèlent dans leurs faiblesses

Les personnages incarnés sont frappants de vérité, presque nus dans leur réalité. Marc Brunet, le commissaire un poil rustre, fait preuve d’une grande sensibilité derrière son air rougeot et balourd, et Hélène Vauquois devient aisément la pauvre femme recroquevillée à la voix fluette. Les interventions de Christian Neupont dans le rôle du policier de permanence apporte une vraie fraîcheur à la scène. Les figures se retrouvent sous un visage timide, presque forcés de communiquer ce qu’ils pensaient garder pour eux. Cette pudeur avouée renforce les liens qui se créent entre eux, et ce malgré les tensions palpables.
Sur fond tragique, on rit pourtant devant la franchise des trois protagonistes. C’est là qu’on reconnaît l’écriture de Teulé, à la fois si sérieuse et désuète. Ce texte laisse parfaitement le champ libre à l’interprétation, et c’est avec un réel plaisir que la rencontre entre deux mondes se fait : celui, grave, de la femme coupable qui vient réclamer la lourde punition qu’elle pense mériter, et celui du commissaire de permanence désabusé ayant un petit penchant pour l’alcool, cachant sa sensibilité derrière sa grosse voix autoritaire.

Une profondeur de texte plaisante

Il y a du savoir-faire dans l’écriture de Teulé. L’écrivain, ex-scénariste de bandes dessinées, ex-chroniqueur télé (« Nulle Part Ailleurs ») et ex-réalisateur, écrit des romans depuis 1996 et remporte de nombreux succès, dont « Je, François Villon » et « Darling ». « Les Lois de la Gravité » est son premier roman à être adapté au théâtre, et son écriture à la fois enlevée et pénétrante se prêtait parfaitement à ce jeu. L’adaptation de Marc Brunet respecte parfaitement le ton et les subtilités amenés par l’auteur.
La metteuse en scène Elizabeth Sender profite de ce scénario qui laisse suffisamment de place pour développer habilement les traits et travers des trois personnages, le temps d’une soirée. L’unité de lieu, d’espace et de temps facilite l’accès à la situation.

Les contrastes sont des plus réels et le temps passe vite, dans le bureau du commissaire. Ce moment à la fois crucial et délicat, ce moment qui change toute une vie va se déterminer ce soir. Et c’est la vie de ces deux personnages à vifs qui vont être bouleversées.

Les Lois de la Gravité
D’après : Jean Teulé (Ed. Julliard)
Adaptation : Marc Brunet
Mise en scène : Elisabeth Sender
Avec : Marc Brunet, Christian Neupont, Hélène Vauquois
Lumières et son : Jean-Maurice Dutriaux

Du 14 janvier 2011 au 22 mai 2011

La Manufacture des Abbesses
7 rue Véron, 75 018 Paris – Réservations 01 42 33 42 03
www.manufacturedesabbesses.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.