Paroles d'Auteurs // « Les Fidèles, histoire d’Annie Rozier » d’Anna Nozière

« Les Fidèles, histoire d’Annie Rozier » d’Anna Nozière

Mai 01, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Fidèles, histoire d’Annie Rozier » d’Anna Nozière

Lecture d’Anne-Marie Watelet

La pièce Les Fidèles d’Anna Nozière (2007) est précédée d’un Prologue, écrit sous forme poétique. Il commence comme çeci :
Dans son ventre
Déjà
J’ai eu peur

Le ton est donné : celui de l’angoisse d’Annie Rozier, à vivre, dès la gestation, dans la maison familiale, avec les Fidèles. Mais si déchirants et malsains que soient les souvenirs évoqués par l’auteur (la narratrice ?), ceux-ci sont magnifiés grâce à des images et à une musicalité puissantes, belles à couper le souffle. La voix d’Annie nous parvient du fond de sa mémoire : peur, haine, sentiment de déréliction…Pour elle, être née est une tragédie et son seul asile est son corps, ses yeux, couchés sur « un édredon de chrysanthèmes« . Les mots portent la mort ; la peur et la solitude fusent dans un cri, et là nous visualisons des portraits de Francis Bacon : bouches hurlantes, yeux béants, distorsions dues au mal-être. A la fin, une note d’espoir : ne « plus écouter la maison« , et, se dit-elle, « je t’écrirai une pièce…« . Bouleversant Prologue qui nous donne envie de découvrir la pièce !

Une pièce autant dramatique que loufouque.

Les huit personnages agissants au fil des treize tableaux jouent dans un registre non réaliste : comportements et propos absurdes ou fantaisistes suscitent le rire, mais les thèmes de la mort et du mal sont traités symboliquement, comme le refoulement d’Annie : les meurtres récurrents des membres de sa famille sont vains car ils ressuscitent ! On rit lorsqu’elle empaille sa grand-mère mais cet acte a un sens profond. Les relations entre les membres de la famille sont perverties par une sorte de malédiction qui frappa déjà les ascendants – cette généalogie si pesante pour Annie – maladie, schizophrénie, inceste. Présence d’une tragédie ? Et comme dans certaines pièces de Ionesco, nous avons plaisir à lire les dialogues rythmés sur les exclamations parfois délirantes des personnages, notamment de la mère : elle fait monter la tension dramatique vers la fin, lorsqu’Annie révèle, en racontant un rêve symbolique, le caractère castrateur de celle-ci. A partir de là tous prennent peur : Annie « a le diable en dedans !« . Le rêve, la mémoire sont les seules armes d’Annie, mais déboussolent au contraire les Fidèles ! Alors ils la voient comme une sorcière dont il faut extirper le Mal – ils en sont au stade de l’Inquisition -! Finalement, dans un très joli conte onirique évoqué pour nous seuls cette fois, Annie sort de son espace étriqué et grâce à de nouveaux yeux, symbole important dans la pièce pour sa recherche introspective, elle pourra enfin voir, se voir et comprendre son passé, sa tragique histoire. L’image finale radieuse porte l’espoir.

Anna Nozière a réussi avec talent et imagination à nous rendre attachante la recherche profonde de soi du personnage d’Annie Rozier. La symbolique de l’angoisse névrotique ou de la perversion est intéressante, autant que la verve loufoque des personnages est désopilante. Une petite réserve cependant : quelques détails symboliques sont pour nous restés obscurs, et la soeur jumelle du Prologue n’est pas celle de la pièce. Mais tout autre lecteur pourra avoir sa propre « vision » à certains moments, c’est ce qui fait la modernité de cette pièce. Soyez nombreux à en savourer la lecture !

Les Fidèles, Histoire d’Annie Rozier
D’Anna Nozière

Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay-Lussac, 25000 Besançon

www.solitairesintempestifs.com


Voir aussi :
La critique à propos de la pièce «Les Fidèles, Histoire d’Annie Rozier»

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