Critiques // « Les Femmes Savantes », mise en scène Arnaud Denis au Petit Théâtre de Paris

« Les Femmes Savantes », mise en scène Arnaud Denis au Petit Théâtre de Paris

Avr 30, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Femmes Savantes », mise en scène Arnaud Denis au Petit Théâtre de Paris

Critique de Dashiell Donello

Les femmes savantes mise en scène de Molière

Nous étions trois cent, hier soir, au petit théâtre de Paris, ou presque trois cent, l’auteur, depuis Musset et sa « soirée perdue », avait très grand succès. C’était encore Molière. Les perspectives cavalières du décor nous annonçaient les conventions à venir. Au lointain un miroir nous symbolisait le savoir.  À l’origine spéculer, c’était observer le ciel à l’aide d’un miroir (speculum) qui est aussi le reflet de l’intelligence créatrice… Mais c’est assez de cette matière commençons notre propos.

La pièce les Femmes savantes est l’histoire d’une famille scindée en deux camps, ceux de l’esprit et ceux de la matière. Philaminte est le chef du premier groupe constitué par Armande, Bélise, Trissotin, et Chrysale du second avec Henriette, Ariste, Clitandre. Le thème central de l’œuvre concerne les femmes et leurs aspirations à l’esprit, qui fini par prendre un aspect caricatural. Molière fait-il cause commune avec les femmes savantes en soutenant contre la morale les revendications féminines ? Si les femmes savantes de Molière sont risibles, cela tient plus à la disproportion qui existe entre leur rang et leurs ambitions sociales que de leur ridicule supposé.

Au début de l’acte 1, Henriette envisage les enfants comme une suite naturelle du mariage. Pour Armande le beau nom de fille ne peut se mêler à la matière, et sa morale condamne comme dégoûtant ce qu’elle traduira plus loin dans la pièce par : « Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossière ? Qu’avec tout l’attirail des nœuds de la matière ? ». Le mariage, c’est aussi le passage à l’acte sexuel et accoucher d’un « marmot d’enfant ». Même si Henriette n’adopte pas cette façon de voir car,  « tout esprit n’est pas composé d’une étoffe qui se trouve taillée à faire un philosophe ». Cette dispute raisonneuse n’est pas vierge de sous-entendus. Elle dévoile peu à peu un enjeu passionnel, quand Armande, mine de rien, pose cette question : « votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre ? ». D’ailleurs la passion d’Armande n’est-elle pas tragique ? Elle voit la réalité et s’offre quand il est trop tard. Philaminte leur mère est une femme dissoute dans les sciences et les lettres, son « snobisme » tient plus de la revendication que de la bêtise. Son cas est très intéressant à plus d’un titre et ses deux filles y trouvent leur compte. Cette mère dominante est un bel esprit et prône le savoir comme un dogme qui ne souffre pas la contrariété. Mais elle a, quoiqu’elle en dise, goûter aux « nœuds de la matière » en se mariant et en ayant des enfants. Ce qui la place au sommet de la pyramide familiale, dans la mesure où elle a joui de tout ce qui sépare son clan de celui de son mari : l’amour, Chrysale aime son « Dragon»  malgré tout,  elle est mère, elle a le pouvoir, le savoir, et elle en fait un usage bien pensé, comme on le voit à la fin de la pièce. D’ailleurs n’est-ce pas  depuis que ses filles sont élevées qu’elle a trouvé sa virilité quasi masculine et sa liberté de femme ? Dans toute bonne pièce il y a un conflit, une situation et un coup de théâtre. Le chef-d’œuvre de Molière en a tous ces ingrédients. Les règles des trois unités, les deux familles divisées, l’entrée de Trissotin, sa prise de bec avec Vadius, l’échec d’Armande, le stratagème d’Ariste et la fuite de Trissotin l’imposteur.

Quand il monte une œuvre de Molière (1622-1673), la première pensée qui vient au metteur en scène est de la mettre en phase avec la modernité. La proposition d’Arnaud Denis ne fait pas exception. Alors vient la question : qu’est-ce que la modernité au théâtre ? Un nouvel usage de l’alexandrin mezza-voce plus surprenant et plus naturel aux oreilles des spectateurs ? Une musique, des costumes du XVIIe siècle ? Un homme travesti en femme ? Possible, mais alors la paternité de cette mise en scène doit revenir à Molière qui, déjà dans l’impromptu de Versailles, demandait à sa troupe de jouer de cette façon et on sait qu’à l’origine c’est le comédien Hubert qui joua Philaminte.

Alors Molière metteur en scène du XXIe siècle ?

La modernité du théâtre en définitive, n’est-elle pas le fait d’être servi par des comédiens vivants ? Le public a aimé. Ils sont tous à féliciter : Jean-Laurent Cochet, Elisabeth Ventura, Gil Geisweiller, Nicole Dubois, Arnaud Denis, Jonathan Bizet, Alexandre Guansé, Stéphane Peyran, Baptiste Belleudy, Eloïse Auria, Virginie Pradal et Jean-Pierre Leroux.

Les Femmes Savantes
De : Molière
Mise en scène : Arnaud Denis
Avec : Elisabeth Ventura, Eloïse Auria, Jonathan Bizet, Virginie Pradal, Gil Geisweiller, Jean-pierre Leroux, Jean-Laurent Cochet, Nicole Dubois, Arnaud Denis, Alexandre Guanse, Stéphane Peyrand, Baptiste Belleudy
Décors : Edouard Laug
Lumière : Laurent Béal
Costumes : Virginie Houdinière

A partir du 28 avril 2010
Reprise jusqu’au 11 juillet 2011

Petit Théâtre de Paris
15 rue Blanche, 75009 Paris
www.theatredeparis.com

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