Critiques // « Les Estivants » de Maxime Gorki, mis en scène par Eric Lacascade

« Les Estivants » de Maxime Gorki, mis en scène par Eric Lacascade

Mar 11, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Estivants » de Maxime Gorki, mis en scène par Eric Lacascade

Critique d’André Antebi

« Je voulais peindre cette partie de l’intelligentzia russe qui est issue du peuple mais qui, du fait de sa promotion sociale, a perdu tout contact avec les masses populaires (…), oublié les intérêts du peuple et la nécessité de lui frayer un chemin (…). La société bourgeoise se jette maintenant dans le mysticisme, cherchant un refuge, n’importe quel refuge, contre une réalité. »

C’est par ces mots que Maxime Gorki précise les thèmes des Estivants en 1904 avant les premières représentations publiques. Ces personnages donc, ces petits bourgeois qui ont tourné le dos à leurs racines populaires, se retrouvent en villégiature, recroquevillés sur eux-mêmes, éloignés du monde et de ses douleurs.

Et puisque dans le silence on entend le cri du peuple, alors on parle encore et encore. Entre confidences et coups de griffe apparaissent les idéaux reniés, les amours muettes, les lâchetés, les abandons, les déceptions. On se réfugie dans une logorrhée dénuée de sens qui finit par donner la nausée et contre laquelle certains se révolteront.  « Nous sommes des estivants dans notre pays… des espèces de vacanciers. On s’agite, on cherche des places confortables dans la vie…Nous ne faisons rien et nous parlons tellement que ça dégoûte. »

Dès l’entrée du public, des cabines de plages qui font penser à celles qui longent les célèbres planches de Deauville nous plongent instantanément dans le monde des estivants. Sans prévenir, lumière toujours allumée, les acteurs prennent possession de leur cabine, (de leur loge ?) et le ton est donné. La pièce a commencé et le public assiste à la préparation des acteurs-vacanciers. Lacascade pose la question de la présence du personnage dans l’écriture de Gorki. « En fait, il n’y a pas de personnage, c’est cela qui est troublant, il y a seulement des personnes, de vraies personnesCe sont des personnes totalement contradictoires qui changent d’idées, qui changent d’endroits, qui cherchent leur place». (Entretien avec Jean-François Perrier). Certains dans la salle trouvent cette introduction « un peu longue » et d’autres (les plus nombreux)  entrent dans le jeu et se préparent eux aussi à tenir leur rôle de spectateur avant que la parole déferle. La troupe place tout de suite son rapport au public au cœur du travail, et quand tout le monde est prêt le spectacle peut « commencer », mais sans que ce lien établi dès les premières secondes ne s’effrite jamais.

Il y a huit ans, au théâtre des Gémeaux déjà, la troupe conduite par Eric Lacascade nous avait éblouie par son travail sur Platonov de Tchekhov à qui Gorki écrivait : « A vous je ne parle pas seulement parce que je vous aime, mais aussi parce que je sais que vous êtes un homme à qui il suffit d’un mot pour former une image, des phrases, et écrire un conte merveilleux qui fouille les profondeurs et l’essence de la vie« 

Entre les deux auteurs la parenté est évidente, mais les impasses existentielles qu’ils décrivent, aussi violentes soient-elles, n’ont pas les mêmes fondements. L’écriture de Gorki, plus politique que celle de son aîné, tournée vers l’avenir et motivée par les causes sociales de son époque, fait souvent place au discours comme moyen d’expression. Mais l’adaptation d’Eric Lacascade est remarquable par sa modernité et l’engagement dans le travail collectif, la liberté, l’humour et le décalage de cette troupe permettent au texte et aux « personnages » de prendre toute leur dimension grotesque, pathétique et cruelle. Dans les vapeurs de l’alcool, les acteurs osent tout et si l’ombre de Benny Hill plane un temps au dessus de la scène, c’est avec la rigueur et la virtuosité de cet ensemble et pour le plus grand bien du spectacle et du propos. Difficile d’évoquer les acteurs individuellement tant le collectif est prégnant. Il n’y a pas dans cette pièce de premier rôle, mais un chœur bâti sur un formidable esprit de troupe.

Les cabines, modulables et mobiles, ainsi qu’un subtil travail sur la lumière, permettent de transformer l’espace en un rien de temps, de varier les points de vue et les lignes de fuite, de partager la scène et d’assister à plusieurs moments de vie en même temps. Ces moments où le chœur se déstructure entre ceux qui ont tourné le dos à la réalité, ceux pour qui elle est insupportable et désespèrent qu’on leur mente, et ceux qui décident de la regarder en face  dans l’annonce d’une révolution qui frémit.

Les Estivants
De : Maxime Gorki
Mise en scène et adaptation : Eric Lacascade
Avec : Grégoire Baujat, Jérôme Bidaux, Jean Boissery, Arnaud Chéron, Christophe Grégoire, Stéphane E. Jais, Eric Lacascade, Christelle Legroux, Daria Lippi, Millaray Lobos Garcia, Marco Manchisi, Elisabetta Pogliani, Noémie Rosenblatt, Laure Werckmann
Collaboration à la mise en scène : Daria Lippi
Scénographie : Emmanuelle Clolus
Lumières : Philippe Berthomé
Costumes : Marguerite Bordat
Atelier costumes : Amélia Holland, Myriam Rault, Valérie Tellier
Son : Marc Bretonnière
Construction décor : Atelier du Grand T / Nantes, François Aubry, Jean Chrétien, Arnaud Quinson
Assistants : Alice Martinache, David Botbol

Création au TNB à Rennes du 12 au 23 janvier 2010

Du 9 mars au 21 mars 2010
Théâtre Les Gémeaux – Scène Nationale
49, avenue Georges Clémenceau, 92 300 Sceaux
www.lesgemeaux.com

Reprise du 17 au 19 mars 2011
Théatre de Sartouville – CDN
Place Jacques Brel, 78 500 Sartrouville
www.theatre-sartrouville.com

Dates de Tournée :
Les 23 et 24 mars 2011 » Théâtre de Caen (14) +
Les 16 et 17 avril 2011 »
Emilia Romagna Teatro – Modène (Italie) +
Les 20 et 21 avril 2011 » Bonlieu / Scène Nationale – Annecy (74) +
Les 3 et 4 mai 2011 »
Maison de la Culture – Amiens (80) +
Le 9 mai 2011 »
Théâtres en Dracénie – Draguignan (83) +
Les 12 et 13 mai 2011 »
Espace Malraux – Chambéry (73) +
Les 17 et 18 mai 2011 »
La Coursive – La Rochelle (17) +
Du 25 au 27 mai 2011 »
MC2 – Grenoble (38) +
Le 31 mai 2011 »
Théâtre de Cornouaille – Quimper (29) +

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