Critiques // « Les Couteaux dans le Dos » de Pierre Notte au Théâtre la Bruyère

« Les Couteaux dans le Dos » de Pierre Notte au Théâtre la Bruyère

Fév 04, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Couteaux dans le Dos » de Pierre Notte au Théâtre la Bruyère

Critique de Bruno Deslot

Le tourbillon de la vie

Partir ? Mais où ? La petite Marie décide de fuir sans savoir ce qu’elle veut être ou devenir. Dans son parcours initiatique, elle doit affronter un ennemi, le seul, elle-même !

Marie déteste qu’on la touche ! Désir profondément ancré dans son refus d’assister plus longuement aux scènes familiales, elle fuit et emporte avec elle ses propres interrogations dans une quête éperdue vers l’indéfinissable, l’insaisissable, le grotesque de la vie. Echappant à la réalité institutionnelle du cadre donné dans lequel elle est condamnée à vivre, Marie s’emporte et avec elle, les blessures de cette vie dont elle ne veut pas, marquée du sceau de la scarification. Marie est « un grumeau dans la pâte à crêpe », « une crotte de lapin roulée sur le bitume en pente ». Entre les suggestions désolantes de la conseillère d’orientation et une mère qui lui apprend à remplacer les verbes du premier groupe par « partir », la route est toute tracée pour cette jeune fille qui ne veut plus voir les adultes aux propos moralisateurs. Malgré le poids de ses ailes encore trop lourdes d’incertitudes, Marie prend la fuite, avec pour seul bagage, un paquet de Figolu, objet transitionnel, sans doute ! Gardien de péage, c’est son rêve, enfermée dans une boîte en verre à l’abri des autres, mais ouvert sur le champ des possibles, sur une vaste perspective d’un bonheur illusoire. « C’est ça partir ? », déçue, Marie lève le cap vers des horizons plus lointains, où entre Oslo, Stockholm ou les fjords d’eau glacée, les rencontres se font nombreuses et toujours plus initiatiques alors que la jeune Marie, refuse tout afin d’être quelqu’un et accepte tout aussi, mais n’en devient plus personne ! Marie se perd dans cette brume épaisse de l’existence, mais elle rencontre un gardien de phare qui, comme elle, ne savait pas quoi faire de sa main !

Une mise en scène sculptée à la pointe du couteau.

Auteur, interprète, musicien et metteur en scène, Pierre Notte s’offre son Peer Gynt à lui, en approchant l’impossible avec humilité et insolence, dans sa création Les couteaux dans le dos. Composée comme une vaste fresque de l’irréparable, de l’errance et du vagabondage existentiel, la pièce s’offre à la vie dans une dimension initiatique où la course haletante vers l’abîme, précipite ses personnages jusqu’aux limites de leurs désirs inconscients. Ophélie, Médée, Rilke ou Ibsen participent à ces désirs de conquêtes éperdues et balisent le chemin à parcourir avec poésie et complicité. Une parole incessante et simple, presque lancinante, entraîne les personnages dans une gymnastique verbale qui les enferme dans la si singulière et unique parole de leur discours, placée entre impuissance et frustration. Il n’existe pas de véritables dialogues entre les personnages qui additionnent des bribes de propos convenus, composant un récital de lieux communs dont l’auteur pousse le trait jusqu’au délire. La petite touche Notte donne à cette partition, une musicalité de l’attachement, du sensible et de l’impossible qui emporte le spectateur dans le tourbillon de la vie.

Un décor de fortune, à partir duquel tout est inventé, exploité et porté vers l’imagination débordante de Pierre Notte qui joue avec les codes d’un théâtre au discours syncopé, à l’espace réinventé à la lumière d’un regard porté sur la vie telle qu’elle est et avec laquelle il faut composer. Une table noire et cinq chaises, recréent, tour à tour, l’espace oppressant de la famille, le lieu de la consultation médicale, le bureau de la conseillère d’orientation, la piscine, l’autoroute, autant de lieux que Marie fréquente lors de son parcours initiatique vers les erreurs, errements ou hésitations vers l’expérience de la vie qu’elle tente.

Réglé comme un ballet, dans lequel la précision du geste inscrit le propos dans une dimension comique ou tragique, la pièce ne manque pas de rythme et les comédiennes, d’énergie. Servie par une distribution de grande qualité, Les couteaux dans le dos sont lancés au rythme étourdissant des répliques qui fusent et se répètent, comme les idées quasi obsessionnelles que véhiculent la pièce. Mais cette histoire est belle, « bête comme la vie » comme l’affirme Pierre Notte, elle est touchante et pleine d’amour.

Les Couteaux dans le Dos
De et mis en scène : Pierre Notte
Assistant à la mise en scène : Thibaut Ronan
Lumières : Antonio de Carvalho
Costumes : Christian Gasc
Vibraphone et arrangements : Paule-Marie Barbier
Avec : Jennifer Decker, Flavie Fontaine, Charlotte Laemmel, Caroline Marchetti, Marie Notte

Du 28 janvier au 10 mars 2010

Théâtre La Bruyère
5 rue La Bruyère, 75 009 Paris
www.theatrelabruyere.com


Voir aussi :
La rencontre avec Pierre Notte

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