Critiques // « Les Cinq Bancs » d’Hocine Ben au Théâtre Gérard Philipe

« Les Cinq Bancs » d’Hocine Ben au Théâtre Gérard Philipe

Avr 11, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Cinq Bancs » d’Hocine Ben au Théâtre Gérard Philipe

Critique de Dashiell Donello

En entrant dans le Terrier, salle adéquate pour le festival Vi(ll)es au TGP, les spectateurs sont arrêtés par les visages de gens simples, filmés sur une vidéo, qui comme nous, semblent écouter un slam qui nous raconte nuitamment la vie urbaine : « Quand la nuit tombe, alors je la ramasse, je la couche sur le papier et je la regarde ». Mais qui regarde qui ? Dans ce refuge quel animal allons-nous rencontrer, la proie ou le prédateur ? Ce rituel d’une cité imaginaire que l’on traverse, guidé par le metteur en scène Mohamed Rouabi, doit nous mettre au centre de l’action. Soudain, un élan commun nous donne le départ vers la scène ; et l’espace vide se fait silence. A priori la pièce, Les cinq bancs de Hocine Ben, est la promesse d’une histoire poétique chez les Albertivillariens.

© Anne Nordmann

La Maladrerie. Le mal. La maladie. La léproserie.

Décembre 2006. Dans un local à poubelles rythmé par une minuterie, Dalil glandeur nomade écoute de la musique et écrit. Il soliloque. Sa voix (off) nous parvient à l’oreille et nous murmure une litanie pensive qui cherche une issue aléatoire dans ce quartier labyrinthique de la Maladrerie. Œuvre de béton réalisée de 1975 à 1984 par des « démiurges » en mal de lignes et de volumes. Ces architectes urbanistes ressuscitent  comme sur une toile de Mondrian: l’espace mort, la vie humaine dépourvue de sens, et la routine métro, boulot, dodo. Mais sans métro. On irait où ? A Paris ? Sans boulot. Travailler à quoi ? Chez nous c’est le chômage, seul le dodo est encore d’actualité.

Alors Madame Renée Gailhoustet apparaît, comme un tag télévisé sur la lèpre des murs, pour nous vanter le mérite du béton sur le marbre. Et que c’est Le Corbusier qu’il a commencé avec l’unité d’habitation. Les autres ont suivi. Cette conception de L’habitat entre le béton et le marbre doit faire bien rire les trépassés du cimetière de Pantin, n’est-ce pas Madame Renée ?

© Anne Nordmann

Ne trouvant pas chez lui ou asseoir son intimité, Dalil prend rendez-vous la nuit avec Zaki aux « cinq bancs » espace problématique avec une sorte de fontaine carrelée qui ne porte de fontaine que le nom. Jamais nous n’avons eu le loisir de voir l’eau jaillir de sa bouche cuivrée. Les autorités ont réglé le problème :
– On n’a pas pu enlever les jeunes, alors on a enlevé les bancs.
Depuis il ne reste qu’un seul banc, usé par les intempéries. Il en a connu des générations de dos ce banc !
Zaki lui ne viendra Jamais. Alors Dalil rencontre, les un après les autres, des rôdeurs de la nuit en chasse d’opportunités. Quand inopinément le spectre de James Brown (1933-2006), le soul Brother Number One,  vient apostropher Dalil avec toujours la même question : « Damn right, are you somebody !? ».
Si ! Je suis quelqu’un ! Hurle en guise de réponse Dalil au jeune fantôme de James Brown.

© Anne Nordmann

Mais qui est ce « Quelqu’un » qu’il croit être ? Celui qui dans le labyrinthe  de la Maladrerie voit venir le Minotaure dévorer ses journées oisives ? Ou bien celui qui parle avec « Mala » la cité qui l’a vu naître ? Est-ce celui qui aurait pu passer du survêtement à la djellaba ? Ou encore celui qui porte des fleurs au cimetière et déroule un calicot ou il est écrit : Karim on veut plus jamais que tu meures. Bien sûr il est tout cela à la fois. Il est né à « Aubercail ».  C’est là sa maison, il est Français ici et Algérien là-bas, nous dit Hocine Ben. Il est surtout le symbole de cette blessure qui saigne bien longtemps après la décolonisation. Dommage que le texte de Hocine Ben ne franchise pas la frontière qui démarque le Slam du théâtre. Il y a pourtant de quoi faire. Hélas ! La promesse n’est pas tenue. Ce long slam en voix off manque cruellement de théâtralité. L’action est quasi inexistante. La mise en scène de Mohamed Rouabi, pleine de bonnes attentions, devient une mise en espace d’une élégie citadine. La forme a pris le pas sur le fond. L’incarnation des acteurs (Hocine Ben et Mohamed Rouabi) est substituée à la technique.  On regrette que leur texte soit si rare. Bien sûr la guerre d’Algérie est présente en fond d’écran et on peut voir les malheurs que cause encore, bien après l’indépendance, la colonisation. Mais on aurait aimé qu’elle soit présente sur la scène et qu’elle se dévoile. La Maladrerie seule ne suffit pas pour nous porter sur le fond de ce journal intime d’un homme qui clame qu’il est quelqu’un.

Les Cinq Bancs
Texte : Hocine Ben
Mise en scène : Mohamed Rouabi
Avec : Hocine Ben, Mohamed Rouabi
Lumière : Nathalie Lerat
Son : David Maillard
Assistante : Nina Benslimane

Du 9 au 18 avril 2010
Dans le cadre du Festival
Vi(ll)es

Théâtre Gérard Philipe – Le Terrier
59 bd Jules Guesde, 93 200 Saint-Denis
www.theatregerardphilipe.com

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