Critiques // « Les Chaises » de Ionesco mis en scène par Luc Bondy aux Amandiers

« Les Chaises » de Ionesco mis en scène par Luc Bondy aux Amandiers

Oct 04, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Chaises » de Ionesco mis en scène par Luc Bondy aux Amandiers

Critique de Denis Sanglard

Deux vieillards attendent un orateur qui doit délivrer le message philosophique de monsieur qui ne sait pas s’exprimer. Invitation est lancée à d’éminentes personnalités dont l’empereur lui-même. Le message délivré, notre couple pourra mourir en paix, se jeter à la mer. La foule conviée, invisible à nos yeux, commencent d’affluer, les chaises envahissent jusqu’à saturation le plateau. Vient enfin l’orateur. Ce dernier est sourd et muet…

Ionesco voyait en cette pièce une farce tragique où le destin des individus n’est qu’ambivalence entre grotesque et tragédie. « Le comique est tragique et la tragédie de l’homme, dérisoire ». Nos deux vieux pataugent dans un cauchemar que le passé mâchonné sans cesse occulte.

C’est la fête

Luc Bondy met en scène une dernière fête macabre. C’est à la vieillesse qu’il s’intéresse. Naufrage programmé que nos deux vieux ne voient pas. Aveugles malgré leur condition, leur déchéance tant physique qu’intellectuel. Ce qui les sauve c’est tout à la fois leur relation de couple fusionnelle et ambivalente, entre mensonge et vérité, amour et violence et cette attente du message à délivrer. Qu’importe le message c’est-ce qu’il provoque qui compte. Une dernière fête avant la mort attendue. C’est merveille de voir un instant nos deux débris jouer avec des cordes de pendu jusqu’à ce moment de grâce où encordés ils semblent tout deux flotter. Ce qui aurait pu être violent devient un moment de douceur incroyable. Luc Bondy ne s’appesantit jamais sur le pathétique de la situation. L’imaginaire débridé de nos deux vieux, l’énergie folle pour réussir leur dernière entreprise ne le permet pas. C’est justement cette distorsion de la réalité qui amène le tragique alors même que nous rions de leurs efforts. Un rire qui s’étrangle souvent. Luc Bondy étire le temps de la représentation quand nos vieillards eux le compressent. Il y a deux temporalités, celle de la représentation, de la préparation de la conférence et celle d’une vie, d’une mémoire fluctuante. Luc Bondy a parfaitement compris le souhait de Ionesco de faire jouer ces personnages par de jeunes comédiens. Quand les souvenirs remontent à leur jeunesse ils ont soudain cette énergie propre à l’âge évoqué. Surprenante et juste métamorphose, le temps se dilate et se contracte physiquement, par le corps du comédien. Ils sont soudain des condensés de vie, corps séniles secoués soudain de fulgurances. Emergent alors des strates enfouis de ce qui fut une vie. Il faut voir la vieille explosant soudain de lubricité pour un invité où encore le vieux redevenir le marmot qu’il fut, pleurant sa mère dans ses couches. Et même une simple danse entre ses deux qui furent aussi des amants devient un incroyable moment de tendresse, de sexualité tendue et de théâtre. C’est une mise en abyme constante. La mise en scène avance ainsi par brusques soubresauts, entre abattement et folle agitation. Luc Bondy amène le trouble et désamorce avec justesse ce naufrage. Nos deux personnages sont ainsi un condensé d’humanité d’autant plus poignant dans cette dérive présente. Luc Bondy prouve ainsi que le terme même de Théâtre de l’Absurde est un contre-sens absolu. Nous sommes au plus près de Beckett.

Une mise en scène physique

Luc Bondy a choisi deux acteurs stupéfiants, Dominique Reymond et Micha Lescot. Ils sont, au réel, vieux et pathétiques, jeunes et éclatants, évidents de naturel dans ce couple de vieillards poignants. Dans le paysage du théâtre français il est bien rare de voir des acteurs utiliser leur corps comme un véritable outil dramaturgique. Dominique Reymond et Micha Lescot sont prodigieux d‘invention. Leurs corps devient un texte en creux qui sous-tend l’œuvre, juste contre-point à ce que le texte ne dit pas. Magiciens à leur manière pour faire apparaître ce qui n’existe pas. Dans cette boite vide il finit par y avoir foule. Les chaises s’entassent. Et nos deux vieux d’être bientôt débordés. On touche aux mystère du théâtre qui nous fait voir l’invisible. Ce n’est pas tant leur métamorphose physique qui impressionne que ce condensé de vie qu’ils expriment, ânonnent et rabâchent…Et pas seulement la leur. Ils portent également le poids de ses invités qui les uns après les autres envahissent le plateau. Alors que tout peut être n’est qu’illusion. Une ambigüité que souligne malignement Luc Bondy. Mais leur complicité est une des forces de cette mise en scène. Le couple qu’il forme, kaléidoscope d’une vie à deux, d’une solitude à deux, est tout simplement bouleversant. Couple fusionnel qui prend certainement toute sa dimension lors de l’allocution finale du vieux. On est soudain submergé d’une émotion indicible. Physiquement accrochés l’un à l’autre pour ne pas dériver davantage, sombrer dans le vide,  prêts à mourir, ces deux comédiens donnent à leur personnage une dimension universelle. Ce qu’ils expriment est tout simplement vertigineux.

Les Chaises
De : Ionesco
Mise en scène : Luc Bondy
Avec : Dominique Reymond, Micha Lescot, Roch Leibovici
Décors et lumières : Karl-Ernst Herrmann
Costumes : Eva Desseker
Son et musique : André Serré
Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar
Accessoires : Laurent Boulanger
Préparation physique : Paillette
Assistant à la mise en scène : Roch Leibovici
Assistant scénographie : Claudia Jenatsch et Annette Hirsch
Assistant lumière : Jean Luc Chanonat
Assistant son : Pierre Routin

Du 1er au 23 octobre 2010

Théâtre Nanterre Amandiers
7 avenue Pablo Picasso, 92 000 Nanterre
www.nanterre-amandiers.com

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