Critique d’Anne-Marie Watelet –
Bérengère Dautun a puisé le texte de sa pièce dans le récit éponyme de Rilke, écrit entre 1907 et 1911. Malte en est le protagoniste et narrateur. Dans ces morceaux choisis, elle a privilégié l’amour immodéré qu’il portait à sa mère.
Si les deux personnages réunis dans un petit salon bourgeois, semblent dialoguer, la mère n’est cependant que l’image fantasmagorique convoquée par les pérégrinations des pensées de Malte. Il est en proie à la nostalgie diabolique des figures passées, des tendresses maternelles et des rites enfantins, qui rappellent l’enfance de Proust (ici aussi le père s’interpose entre la mère et le petit garçon, lors de leurs tendres épanchements). Et il nous livre des notations brèves inspirées au hasard de l’instant. Comme son créateur, ce jeune aristocrate plonge dans son univers intérieur jonché de souvenirs et d’angoisses qui le hantent tout en le séduisant. La mère répond avec amour à ces résonances affectives, et les ressuscite, les exalte même parfois : l’évocation des rouleaux de dentelles, de la boîte à musique…
C’est un projet délicat de mettre en scène ces fragments. Or, on ne peut qu’admirer l’intelligente et fine adaptation de B. Dautun : la mère frôle Malte sans cesse de son corps mais jamais de ses yeux. Elle a su créer une atmosphère intime, enveloppée de douces lumières, et les brefs airs d’opéra, une sonate pour piano nous enchantent. Guillaume Bienvenu est Malte, que l’on imagine visuellement lorsqu’on a lu le récit. En effet, sa grâce fragile, son regard tendre et sombre ainsi que son phrasé mélodieux, restituent brillamment le texte poétique et la voix intérieure du personnage. On aurait aimé peut-être quelques saillies teintées d’une passion plus enfiévrée.
La même Bérengère Dautun interprète le rôle de la mère avec une grande conviction, faisant vibrer sa voix et ses sentiments d’amour. Mais justement, elle porte ceux-ci un peu trop haut et nous regrettons son emphase dans le ton et la diction, sa gestuelle démonstrative (bras et regards tendus vers le ciel), donnant dans un lyrisme qui ne s’accorde pas toujours avec le rôle de la mère, présente pour nous, mais enfouie dans le passé et que Malte fait revivre. Certes, nous sommes en présence d’une comédienne encensée, mais ses belles interprétations habituelles de femmes au destin parfois tragique, contrastent avec un jeu qui se voulait tout en nuance. Néanmoins, leur intime proximité dans ce salon est bien orchestrée : déplacements subtiles et feutrés, brefs silences, attentes, rythment leur voyage intérieur.
Nous recommandons cette pièce intimiste dont le texte poétique porte toute la sensibilité des personnages, leurs rêves antérieurs ; les regrets et obsessions du narrateur/auteur, Malte/Rilke.
Quelques notes recueillies du comédien, après la représentation :
Comment être Rilke ? est la question qui l’a taraudé au début. Puis il s’est mis en tête : C’est Malte que je joue.
Une autre difficulté : « J’écoute la comédienne, ma mère, mais elle n’est pas là, elle ne me regarde pas, je ne la vois pas jouer ».
Et, à propos du texte, une dualité qu’il a dû résoudre seul. « Je me disais : je dois donner vie au personnage, et en même temps rendre le caractère poétique du texte. Au début, je n’ai exprimé que la poésie. »
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge
De : Rainer Maria Rilke
Adaptation et mise en scène : Bérengère Dautun
Avec : Bérengère Dautun et Guillaume BienvenuDu 18 septembre au 22 novembre 2010
Théâtre Petit Hébertot
78 bis bd des Batignolles, 75017 Paris – Réservations 01 42 93 13 04
www.petithebertot.fr