Critiques // « Les Amis du Placard » de Gabor Rassov à la Pépinière Théâtre

« Les Amis du Placard » de Gabor Rassov à la Pépinière Théâtre

Sep 19, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Amis du Placard » de Gabor Rassov à la Pépinière Théâtre

Critique de Bruno Deslot

Des amis à tout prix !

Jacques et Odile profitent d’une vente promotionnelle dans une grande surface de la banlieue parisienne pour s’acheter des amis !

S’acheter des amis, comme on s’achète une nouveau robot ménager ou bien une télé écran plat en parcourant les allées d’un hypermarché, relève finalement d’un acte consumériste assez banal pour Jacques et Odile. Leur quotidien est d’une extraordinaire platitude. Lui travaille, elle s’occupe en participant à des cours de conversation ou en apprenant le programme télé par cœur !  Un couple d’amis acheté à un prix défiant toute concurrence pour un produit aussi inattendu, ravi Jacques et Odile dont les soirées pourront désormais s’égayer davantage ! Un placard suffit pour ranger ces nouveaux amis, que l’on peut utiliser à sa guise. Ils répondent à toutes vos demandes ! C’est écrit dans le contrat de vente ! Si le client n’est pas satisfait, le couple d’amis est ramené au SAV pour une mise au pilon ! Alors, pourquoi ne pas se faire plaisir ?

Sortir du placard mais comment ?

Une histoire surprenante traitant d’un sujet absolument surréaliste porte en filigrane la monstruosité des rapports humains et au fond cette envie de dire ou de faire tout ce qui est interdit ! Le texte de Gabor Rassov s’annonce grinçant, cynique et tout particulièrement dérangeant dès lors que Jaques et Odile, en s’adressant au public, présentent leur nouvel achat. La joie du couple mais aussi la tension qu’elle génère est palpable et l’on espère le pire dans cette aventure amicale qui démarre sous nos yeux. Mais la mise au placard est bien réelle ! Ce couple d’amis acheté en grande surface n’est qu’un prétexte pour amorcer des propos qui n’aboutissent jamais vraiment à cette monstruosité que l’on souhaiterait justement plus affirmée. Ces amis, sortis du placard comme on sort un balai ou une paire de chaussures, sont dans un rapport de soumission vis-à-vis de Jacques et Odile, mais le principe même de l’achat est déjà suffisamment explicite pour que l’auteur aille plus loin dans son désir de décrire ce jeu de massacre auquel se livre les deux couples !

Certes, quelques amorces permettent d’espérer le pire ou le meilleur, mais l’ensemble retombe très vite comme un soufflé ! Lorsque Odile tente, avec beaucoup d’élégance, de parler littérature, ses manques trahissent vite un esprit d’une grande bêtise à propos duquel Juliette, l’amie achetée, ne fait aucunes remarques ! Ce n’est surtout pas dans le contrat ! Soumission, obéissance et disponibilité font partie du produit acquis sans complexe, aucun, et surtout pas celui d’expliquer la raison qui guide les instincts les plus vils de Jacques et Odile. Guy, le marie de Juliette, construit une cheminée pour ses nouveaux amis, se heurte avec réserve à Jacques lorsque celui-ci lui propose de faire de l’échangisme. Les demandes les plus inattendues s’additionnent, mais relèvent systématiquement de l’ébauche et donne à la proposition une linéarité dramatique tout particulièrement ennuyeuse. Mais un peu de sexe, c’est toujours plus vendeur, réveille le spectateur lorsque refusant de faire de l’échangisme, Juliette et Guy proposent les marionnettes X ! Des marionnettes plus vraies que nature, dignes d’un Peep Show où vulgarité rime avec futilité !

Certes, la monstruosité, postulat de départ de l’auteur, se justifie mais peine à prendre de l’ampleur, à faire sens et à nourrir une réflexion, même succincte à propos de « l’angélisme pesant auquel, jour après jour, nous nous contraignons et que nous aimerions bien abandonner de temps en temps pour assassiner, qui son voisin, qui son patron […]» affirme Gabor Rassov.

La mise en scène de Pierre Pradinas est d’une grande simplicité, efficace et sobre, malgré un écran vidéo sur lequel sont projetées les images de Guy élevé dans une communauté bio, des spots de couleurs pour mettre l’ambiance…Heureusement, la scène de La Pépinière Théâtre est peu profonde et n’a pas permis au metteur en scène de sortir l’artillerie lourde à laquelle nous sommes habitués ! En même temps, le texte n’exige pas non plus une scénographie ambitieuse !

Bien heureusement, les comédiens tiennent leurs engagements d’un bout à l’autre de la pièce et font œuvre de charité en interprétant leur personnage dans une justesse irréprochable. Romane Bohringer, délicieuse Odile gourde, s’étonnant d’un rien, excelle dans l’interprétation d’un personnage qu’elle réussit à ne pas trop caricaturer. Toutefois, cette comédienne d’exception s’impose habituellement dans des rôles beaucoup plus exigeants. Didier Bénureau s’affranchit de toutes les contraintes que pourraient lui imposer son personnage, il est vrai, juste comme il faut avec ce regard toujours aussi pervers et cynique. Légère, fragile et touchante, Aliénor Marcadé-Séchan s’amuse avec son personnage et révèle une nature sensible, un réel potentiel d’actrice qui, souhaitons-lui, la portera vers d’autres productions à la mesure de son talent. Matthieu Rozé joue l’homme de la situation, celui par lequel on souhaite qu’une révolution s’opère, mais en vain, le texte est malheureusement trop plat ! Dommage, cela aurait permis à cette belle distribution d’aller beaucoup plus loin dans ses engagements.

Les Amis du Placard
De
: Gabor Rassov
Mise en scène et scénographie : Pierre Pradinas
Lumières : Orazio Trotta
Costumes : Danik Hernandez
Musique : Dom Farkas
Décor : Alain Pinochet
Avec : Romane Bohringer, Aliénor Marcadé-Séchan, Didier Bénureau et Matthieu Rozé

Du 7 septembre au 18 décembre 2010

La Pépinière Théâtre
7 rue Louis le Grand, 75 002 Paris
www.theatrelapepiniere.com

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