Critiques // « L’Empereur de la Perte », premier volet de la trilogie Jan Fabre à Chaillot

« L’Empereur de la Perte », premier volet de la trilogie Jan Fabre à Chaillot

Fév 01, 2011 | Aucun commentaire sur « L’Empereur de la Perte », premier volet de la trilogie Jan Fabre à Chaillot

Critique de Denis Sanglard

« L’empereur de la perte », plaidoyer pour l’artiste ou autoportrait de l’artiste en clown…

Voilà un monologue singulier, acte de résistance, de résilience, de celui qui toujours essaie, toujours échoue mais recommence. Parce que « l’expérience engendre l’art », à condition de ne jamais renoncer. Ou du moins renoncer à tout sauf au refus.

© Wonge Bergmann

C’est un clown qui s’adresse à nous directement. Qui sollicite notre attention, demande des réponses, des réactions que bien sûr nous ne donnons jamais. Un clown qui se balade le cœur en bandoulière, un cœur dont il ne sait que faire, ni savoir où mettre. Dans le dos, au pied, sur la tête… ? Le manger, pourquoi pas ? Un clown pitoyable qui échoue sans cesse dans son minable numéro de jonglage avec des assiettes qui toutes s’écrasent au sol et jonchent le plateau de leurs débris. Qu’importe, il recommence. Ne renonce jamais. « Je veux recommencer sans cesse ».  Jusqu’à la métamorphose. Le clown aspire à devenir un ange, pour enfin être au dessus de la médiocrité.

À ceux qui ont une vison scandaleuse de Jan Fabre, provocatrice, ceux là seront déçus ou désarçonnés… Pas d’effusion de sang, pas de corps nus, pas d’extrême, pour ceux qui ne retiennent de Jan Fabre que cet aspect sans voir ce qu’il contient réellement de réflexion, d’interrogation. Non, là, juste un formidable comédien, Dirk Roofthooft, qui endosse cet habit de clown mélancolique.

© Wonge Bergmann

Le clown est une figure récurrente chez Jan Fabre. C’est le fou dans sa fonction sacrée de bouc émissaire. Celui qui nous tend un miroir. « Empereur de sa perte », et « roi de ses douleurs » pourrions nous rajouter. C’est une adresse directe, un dialogue presque intime entre l’artiste et son public. Où Jan Fabre derrière son interprète défini ce qu’est l’artiste, sa fonction. Les numéros présentés ne sont alors que des prétextes. Une autre vérité doit surgir derrière chaque tentative, qui n’est jamais reçue vraiment. Avec un constat d’échec puisque le public rit pour de mauvaises raisons.

Mais l’artiste ne peut vivre sans son public. Alors il continue. Il recommence. Dirk Roofthooft crée une proximité avec le public, une intimité troublante. Loin du bateleur c’est au contraire avec un naturel confondant et sans effort qu’il nous entraîne à sa suite. On lui taperait presque sur l’épaule s’il n’y avait cette distance de la scène à la salle. Distance qu’il abolie de sa présence immédiate. Tout  à  la fois modeste et bravache, gentil, naïf et pourtant roué. Auguste et clown blanc, c’est un fou en habit de soirée, un clown démaquillé avec son cœur en sautoir, un artiste mélancolique, désespéré, qui bavarde, converse, danse, va et vient, s’agite en vain dans un décors trop grand pour lui, pompeux, officiel, rouge et or. A la fois salle du trône et toile de cirque qui dénote encore plus le décalage entre la place assignée à l’artiste et la vérité intime de ce dernier. Il y a comme une usurpation, un mensonge, un jeu de dupe consenti et officieux que dénonce Jan Fabre.

« L’empereur de la perte » est le premier volet d’un triptyque commencé il y a dix ans qui se poursuivra avec « Le roi du plagiat » et se terminera avec une création « Le serviteur de la beauté ».

L’empereur de la perte
De : Jan Fabre
Texte, mise en scène, scénographie : Jan Fabre

Avec : Dirk Roofthoorst

Dramaturgie : Miet Martens
Assistante : Coraline Lamaison
Lumières : Harry Cole, Jan Fabre
Costumes : Ingrid Vanhove
Assistant au décor : Mieke Windey
Texte publié par l’Arche Editeur, traduction de Olivier Taymans

Du 27 au 29 janvier 2011
Dans le cadre de la
Trilogie Jan Fabre [L’Empereur de la Perte | Le Roi du Plagiat | Le Serviteur de la Beauté]

Théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75 016 Paris – Réservations 01 53 65 30 00
theatre-chaillot.fr

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