Lectures // Lecture . « Marchons ensemble, Novarina ! (Vade mecum) » de Michel Corvin. Les solitaires intempestifs.

Lecture . « Marchons ensemble, Novarina ! (Vade mecum) » de Michel Corvin. Les solitaires intempestifs.

Déc 18, 2012 | Aucun commentaire sur Lecture . « Marchons ensemble, Novarina ! (Vade mecum) » de Michel Corvin. Les solitaires intempestifs.

ƒƒƒ Lecture de Djalila Dechache



Sous une forme de panorama critique et au titre injonctif à l’adresse plurielle qui, traduit en français « Viens avec moi, Novarina ! », devient encore plus pressant, voici un livre passionnant pour l’œuvre de Valère Novarina composée de ses textes et de ses mise en scène, mais aussi pour les mises en scène réalisées par d’autres metteurs en scène que lui.

C’est l’auteur universitaire Michel Corvin qui s’y attelle à un tel point de modestie que nulle part dans le livre ne figurent les lignes nécessaires à sa présentation fut-elle très succincte. Il ajoute comme si cela ne suffisait pas qu’il n’« a aucune compétence de spécialiste, ni un instinct de propriétaire (…) il invite à le goûter ». Cette idée est intéressante et renvoie à l’expérience mystique de goûter les textes pour les ressentir au plus profond dans le but d’une transformation de soi.

Rappelons qu’il est le coordinateur du très célèbre Dictionnaire encyclopédique du théâtre paru en 1991et réédité pour la 4 ème fois, ce document de taille (940 pages) demeure la référence absolue et même dans le monde, jusqu’en Irak où cet ouvrage  m’a été demandé.

Dans « Marchons ensemble, Novarina ! », tout est dans son introduction, dense, explicative, méthodologique.

On a beau se dire que les textes de Novarina ne se lisent pas spontanément, il faut avoir une aide, un accompagnement pour cette écriture inconnue et si particulière. « Mes livres, je mets 5 ans à les faire, des milliers d’heures, de corrections maniaques, écrit sans fin jusqu’à l’épuisement « , épuisement qui fait partie du processus de la création ; « J’écris avec les oreilles » dit-il dans sa Lettre aux acteurs. Son écriture se situe entre « le laissez-être et la maîtrise des mots ». Ils nécessitent une vraie préparation que le théâtre par « le souffle du comédien » apporte sur scène. Plus encore, « la liaison entre la langue, le corps, le son et le théâtre deviennent la condition de la réalisation du langage ». En conséquence, pas de différence entre parlé et écrit ou le  « parlécrit », langue éminemment novarinienne, sans aucune autre pareille, de celui qui connait mieux que quiconque la langue française :

« Le français est à la fois du grec de cirque, du patois d’église, du latin arabesque, de l’anglais larvé, de l’argot de cour, du saxon éboulé, du batave d’oc, du doux-allemand et de l’italien raccourci ».

La langue novarinienne est un pays inconnu, méconnu, du parlécrit si rejetédans toutes les instances de notre société, magnifié ici pour en faire jaillir la substantifique énergie qui nous renouvelle.

Ses références nous dit Michel Corvin, sont  puisées dans le corpus universel (la bible, Saint-Paul, Saint-Augustin, Dante, Rabelais, Claudel, Artaud, Lautréamont, Descartes, Shakespeare, Beckett, Rutebeuf…..).Toujours dans La lettre aux acteurs Novarina «  précise que les points des vieux manuscrits arabes sont marqués par des soleils respiratoires » ou plus communément appelés des points diacritiques qui donne la sonorité et le sens des mots. Cela ne veut pas dire poumoner, gueuler, se gonfler d’air, au contraire avoir une économie respiratoire, user tout l’air qu’on prend, tout l’dépenser avant d’en reprendre…… ».

C’est aussi pourquoi la langue de Novarina si singulière (comparée à celle de Rabelais ou de Jarry), participe de « la connaissance de la personnalité de son auteur, de son imagination, de sa pensée, de sa verve satirique, de sa qualité d’écrivain, de l’oralité et dans cette mesure, d’écrivain de théâtre ». M.Corvin.

Pour ma part, je dirais que je suis entrée enfin dans l’univers de Novarina lors du Festival Nourritures Novarina au Lavoir moderne en janvier et février 2006 avec le superbe travail de Claude Buchvald et de Claude Merlin. Avec ce texte pour compagnon, les représentations seront encore plus riches et la lecture plus aisée et suscite le désir de théâtre.

Ce que propose Michel Corvin c’est de se promener en pays novarinien, s’attardant sur tel ou tel aspect du « paysage parlé » et où le guide serait Novarina lui-même, un paysage à la théâtralité sans personnage ni dialogue, pas de techniques scéniques, ni à l’exploitation de l’espace et du temps. Cet ouvrage est à lire dans le désordre, comme un livre de chevet que l’on ouvre au hasard, l’ordre alphabétique a seulement fonction pratique. L’art de Novarina est d’être partout avec brio : dans les textes pensés, construits pour les comédiens qui viendront « s’asphyxier par les effets incantatoires des litanies », des enfilades de nom d’oiseaux, de plantes, d’insectes, de fleurs, « tel Socrate dans le Ménon qui ensorcelle ses interlocuteurs par ses ruses et ses maléfices ». La partie Textes et apostilles, soit 161 textes accompagnés de corrélats qui renvoient à d’autres textes, est suivie d’une bibliographie et d’une biographie. Ce qui augmente son caractère didactique et son esprit de transmission culturelle. Ce qui signifie que Michel Corvin a conçu un texte qui s’adresse à tous, amateurs, spectateurs, acteurs, lecteurs, auteurs quels qu’ils soient.

« Écrire tranche, et il n’y a rien de plus proche de l’action du poète que l’ouïe méticuleuse, la précision aiguë du juriste. Jamais le théâtre, en tant que lieu où l’image se fissure et scène d’interrogation du langage, n’aura été autant au cœur du monde. Jamais la poésie n’aura été plus politique » écrit V. Novarina.

On aimerait tant que M. Corvin poursuivre cette belle démarche si intelligente par sa clarté, si généreuse par un travail méticuleux avec d’autres auteurs.

Merci Monsieur Corvin, vous qui signez cet ouvrage magistral, éclairant, époustouflant, votre modestie n’a d’égale que l’amour que vous portez au théâtre que vous transmettez. Il vous place aux côtés des enchanteurs de théâtre. 

Marchons ensemble Novarina !
De Michel Corvin
Les Solitaires Intempestifs –  17/09/2012 – 272 pages – Collection du Désavantage du vent.
www.solitairesintempestifs.com

 

 

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