Lectures // Lecture. « Ce que j’appelle oubli » et « Tout mon amour » de Laurent Mauvignier aux Éditions de Minuit.

Lecture. « Ce que j’appelle oubli » et « Tout mon amour » de Laurent Mauvignier aux Éditions de Minuit.

Juil 17, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture. « Ce que j’appelle oubli » et « Tout mon amour » de Laurent Mauvignier aux Éditions de Minuit.

ƒƒ Article Djalila Dechachece que j'appelle oubli

« Le théâtre fait partie de la littérature » Laurent Mauvignier.

Il y a des livres qui vous laissent un souvenir persistant, a fortiori lorsqu’ils sont passés à la scène. C’est le cas de « Ce que j’appelle oubli » de Laurent Mauvignier.

À partir d’un fait divers comme il y en a tant, l’auteur a imaginé un monologue écrit sur le souffle comme un coureur de fond qui n’en finit pas de voir sa vie défiler.

L’histoire est banale : un homme sans domicile fixe est entré dans un supermarché, s’est servi et a ouvert une canette de bière, l’a bue, jusqu’à ce que des vigiles lui tombent dessus, le somment et le coincent dans des locaux retirés du magasin.

Le somment de quoi ?  Que s’est-il passé dans la tête de ces hommes baraqués, jeunes, en costume sombre ? Que s’est-il passé pour qu’ils le rouent de coups, avec leur force décuplée, avec leur rictus figé, au nom de quelle loi, de quelle morale se sont-ils transformés en bulldozer ? Sont-ils encore des hommes après cet acte de barbarie, ces vigiles interchangeables ?Le récit de Laurent Mauvignier est terrible, terriblement juste, parce que c’est un récit, et rien de plus, un récit sans jugement, sans réponse, sans bavardage. Cette histoire lui a été librement inspirée par un fait divers survenu dans une grande surface de La Part-Dieu à Lyon en 2009. L’homme s’appelait Michaël Blaise, il était originaire de la Martinique, il avait 25 ans.

Laurent Mauvignier a voulu rendre hommage au texte de Bernard-Marie Koltès « La nuit juste avant les forêts », en écrivant une seule et longue phrase de 60 pages sans ponctuation.

Au Studio – théâtre de la Comédie-Française, Denis Podalydès, s’est emparé de ce texte magnifique comme un défi, fort et simple. Après la représentation, le texte revient comme le fantôme de ce jeune homme, mort pour rien. Le comédien à la fois présent et effacé, laisse la place au personnage et rend ainsi un émouvant hommage à la victime.

On peut faire un parallèle d’écriture entre « Ce que j’appelle oubli » qui s’adresse au frère de la victime, à la manière de « Julie telle que… » de Nadia Xerri-L (Actes –Sud Papiers)  autre récit d’une sœur à son frère à partir d’un fait divers qui a mal tourné.

« Tout mon amour »

tout mon amour

a également été porté à la scène,sans conviction et c’est bien dommage pour le collectif Les Possédés qui s’était déjà lancé dans la mise en scène réussie de « Loin d’eux » du même auteur.

A partir de l’enterrement du père, une famille va se revoir dans sa maison d’enfance et s’affronter. Les vieilles douleurs remontent, les secrets, les non–dits, les rivalités et les ratages. C’est une loi de la nature qui veut cela : s’entredéchirer face à la perte, face à la mort, compter les biens, la vaisselle et tout le reste.

Ils sont trois à se retrouver dans la maison familiale, le père, la mère, le fils. Ce dernier bizarrement est resté à Paris. Une fille surgit et se prétend être la leur, disparue dix ans plus tôt. Il y a la mère qui malgré « la boîte de preuves » contenant quelques malheureux souvenirs d’avant, va s’affronter violemment avec tous sans rompre, sans céder. Elle reste enfermée avec son amour, totalement dédié à sa petite fille disparue à l’âge de six ans. Elle ne veut pas.

Comme d’habitude l’écriture travaillée sur plusieurs plans est ciselée, dure, précise, taillée dans le réel et l’irréel, entre souvenirs et frustrations, entre mort et disparition, toutes deux transformées en revenants, en rôdeurs, tel un chœur grec.

Prévu au départ pour le cinéma, Laurent Mauvignier dit qu’il n’a pas trouvé de « résolution dramatique satisfaisante, des motivations aux personnages qui soient plausibles ». On ne sera pas étonné de voir à l’écran prochainement un scénario de Laurent Mauvignier, c’est devenu une nécessité pour lui qui aime tant Bergman et une attente pour nous.

 

« Ce que j’appelle oubli » et « Tout mon amour »
de LaurentMauvignier

Les Éditions de Minuit
7, rue Bernard-Palissy, 75006 Paris
Tél  : 01 44 39 39 20

http://www.leseditionsdeminuit.fr

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