ƒƒƒ article Bruno Deslot

Dans la solitude des chants de Baker

Un tabouret placé sur une scène exiguë, une aire de jeu limitée sur laquelle apparaît chaque soir La Fille, flanquée de deux boys, sous les projecteurs, le projecteur… un halo de lumière la ramenant à ses gloires passées. Ce soir, comme tous les autres soirs, autour d’une chanson de Joséphine Baker, la Fille et les deux boys partagent leurs anecdotes, leurs mensonges et leurs vérités.

Le théâtre rôde souvent dans les pièces de Lagarce et s’immisce tout particulièrement dans Music-hall qui raconte l’envers du décor, les tournées ringardes avec leurs salles minables et leur lot de désespoir. Ce texte parle aux gens de théâtre d’un sujet qui leur est si familier. Il séduit aussi par son empathie pour ces artistes qui vont jusqu’au bout de leurs engagements malgré des conditions de travail déplorables les ramenant à une bien triste réalité. L’écriture de la pièce trahit un flegme apparent pour mieux mettre en exergue l’éternelle ritournelle des soirées sans succès. Pathétique ? Pas du tout ! Au contraire, même si Lagarce force parfois un peu le trait c’est toujours avec un amour et une profonde sympathie pour ses personnages. Entre l’hystérie des acteurs et l’enjeu de la représentation, la musicalité des mots de l’auteur prépare toujours le lecteur au grand saut vers une plongée réaliste, poétique et finalement désabusée.

Les fêtes de village, les lampions illuminés annonçant l’animation de l’année et la Fille attendant son tabouret pour effectuer son tour de chant ! Mais quel tabouret va-t-on lui attribuer ? Taille moyenne et fixe ? Petit ? Grand ? À trois pieds ? Tabouret à traire les bestiaux bovins ? Elle en pleure mais n’en veut pas à ceux qui souhaitent juste l’aider et confondent « le confort avec l’art ». Douloureuse réalité pour une nuit qui aurait pu être pailletée, enivrante, saisissante de désir fantasmé ! La communion avec le public paraît toujours plus improbable parce que tellement désirée par la Fille au passé que l’on devine glorieux ou au contraire laborieux ! Elle minaude, tente de jouer comme il se doit avec ses boys une partition qui additionne les fausses notes. Tout semble relever du pathétique et pourtant J.L Lagarce réussit un tour de force en relatant les voyages interminables de cette artiste ratée, confrontée à des salles vides, une bande son toujours en panne, deux boys revenus de tout, l’humiliation que l’actrice musèle pour survivre, la fatigue et la manière de continuer à y croire malgré tout…jamais l’auteur ne se permet la moquerie.

C’est avec douceur et amour qu’il rend hommage à sa famille de cœur.

Music-hall
De Jean-Luc Lagarce

Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay Lussac
25000 Besançon
www.solitairesintempestifs.com

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