Critique de Denis Sanglard –
L’Échange est peut être la pièce la plus épurée de Paul Claudel. Action minimale, décors unique tout se concentre en une seule journée sur le quatuor formé par Marthe, Louis Laine, Lechy Elbernon et Thomas Pollock. Quatuor splendide, flamboyant, nourri du verbe puissant et violent de Claudel. Des personnages riches et complexes, quatre face pour une figure unique de l’homme dans ce qu’il peut avoir de tragique et de lumineux. Leur confrontation brutale les révèle à eux même comme elle dévoile l’autre dans ses arcanes les plus profondes. L’échange effectué, Marthe contre Lechy pour une poignée de dollars, est bien plus complexe. Louis Laine le métis, le demi-sauvage reconnaît en Lechy Elbernon cette liberté dont lui-même est affamé. Marthe en Thomas Pollock et derrière le cynisme affiché, voit l’homme droit et fidèle. Chacun s’engage et engage l’autre nécessairement. Jusqu’au bout, jusqu’à se perdre.
Dans cette ronde ou chacun se cherche et se cogne, s’échangent les corps, le sexe, l’argent, le spirituel contre le matériel. À ceux qui ne voit en Paul Claudel que le catholique réactionnaire, c’est oublier combien ses pièces sont d’une sensualité âpre et violente, ou le sexe est crû. « L’Échange » est un formidable huis-clos qui exacerbe les passions jusqu’au tragique. Et cela passe par le verbe. Un verbe puissant, poétique, formidable et même ludique.
© Philippe Delacroix
Bernard Levy a opté pour la simplicité. Une caravane d’aluminium plantée coté jardin, une misérable table deux pauvres chaises, c’est l’Amérique des paumés. Un écran coté cour et le ciel se déploie de l’aube à l’aurore. La mise en scène se concentre avec bonheur sur le quatuor, les acteurs, la langue. Audrey Bonnet a l’évidence et la force tranquille de Marthe. Son jeu est austère comme en replis mais d’une justesse qui donne une définition de Marthe loin de la victime désignée. À l’exact opposé, Alice Le Berre campe une Lechy Elbernon d’une cruauté désinvolte et lucide. Théâtrale sans le ridicule de la théâtreuse, elle occupe littéralement le plateau à chaque apparition. Lechy déploie un éventail de jeu comme elle ferait des essais pour un nouveau rôle. Ivre de son propre personnage plus que d’alcool. Alice Le Berre lui donne dans sa rage, sa soif d’absolu, une humanité décomplexée et fragile. Le miroir inversé de Marthe dont elle portera la robe dans la dernière scène. Pierre-Alain Chapuis est un Pollock Nagoire loin du cynisme qu’on lui prête. Il apporte une humanité à ce financier pour qui tout s’achète, tout à un prix y compris “la grâce de Dieu”. Sont jeu sobre lui donne un poids, une autorité naturelle. Le désastre final, sa ruine, ne l’entame en rien.
Ces trois là sont complémentaires et les différences de jeu rendent plus pertinent les affrontements. Ils sont tant formidable dans leur engagement ces trois acteurs que Pierric Plathier, Louis Laine, en apparait malheureusement tout falot. Il lui manque la sauvagerie, la violence, la sensualité qu’on pourrait attendre de ce demi-sauvage, de cet indien. Trop lisse, trop appliqué, il est littéralement bouffé par ces partenaires qui pourtant semble le ménager. Cela rend un tantine boiteux ce quatuor.
© Philippe Delacroix
Cependant Bernard Levy réussit à faire entendre la langue de Claudel, loin de toute afféterie. C’est brut et d’une modernité incroyable. Une giroflée à ceux qui pensent encore que Paul Claudel est obsolète car certains clichés ont la vie dure, hélas. Cette mise en scène de « L’Échange » proposé à l’Athénée peut sembler modeste. Elle est en fait riche de sens. Bernard Levy fait le vide et dans ce vide là, faussement naturaliste, toute la langue de Claudel se déploie, les personnages sont mis à nu. Surtout il ne cherche en rien à résoudre les questions posées, les contradictions apparues. Dans leurs échanges, leurs débats et combats, les personnages gardent leur part de mystère et d’ombre. L’Homme de Paul Claudel ne semble pouvoir garder son humanité qu’en ses propres contradictions. C’est cela qui est mis en scène. Et c’est beaucoup. Et c’est juste.
L’Échange
De : Paul Claudel
Mise en scène : Bernard Levy
Assistant à la mise en scène : Jean-Luc Vincent
Scénographie : Giulio Lichtner
Costumes : Elsa Pavanel
Lumières : Christian Pinaud
Vidéo : Romain Vuillet
Avec : Audrey Bonnet, Pierre-Alain Chapuis, Aline Le Berre, Pierric PlathierDu 3 au 19 mars 2011
Athénée Théâtre Louis Jouvet
Square de l’Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, 75 009 Paris – Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com
En tournée :
Du 23 au 26 mars 2011 » Scène nationale de Sénart
Du 12 mars au 14 avril 2011 » Nouveau Théâtre de Besançon
Du 20 au 22 avril 2011 » Espace Malraux, scène nationale de Chambéry
Du 10 au 19 mai 2011 » MC2: Grenoble