Critiques // « Le Visage Émerveillé » d’Anna de Noailles aux Déchargeurs

« Le Visage Émerveillé » d’Anna de Noailles aux Déchargeurs

Jan 07, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Visage Émerveillé » d’Anna de Noailles aux Déchargeurs

Critique d’Anne-Marie Watelet

Pièce adaptée d’un roman où le cœur d’une jeune fille se débat entre l’amour spirituel et l’amour terrestre.

On trouve l’écho de ce roman d’amour, écrit par Anna de Noailles en 1904, dans la correspondance et la relation amoureuse que celle-ci entretient avec Maurice Barrès. La poétesse découvre la passion et cela ne se fait pas sans souffrance. Passion « accordée avec les étoiles » écrit Barrès. Et « qui leur a rendu la vie impossible, la mort négligeable et l’éternité nécessaire » (1).

« J’ai détourné la tête, j’ai bien vu qu’il était plus beau que vous Seigneur… »

© Jean-François Mariotti | Le Pôle Média

La jeune Sophie, seule dans sa cellule au couvent, nous livre ses joies, toute à son bonheur d’aimer Dieu. Ignorante de ce qui est mal, elle raconte les regards d’un jeune homme aperçu régulièrement à l’église. De ses visites nocturnes sous sa fenêtre, naît un trouble amoureux, mais innocent. Viennent les étreintes et la fièvre des baisers ; et avec l’amour, l’inquiétude et les tourments « j’entre dans une lente et calme folie ». Arrive enfin le moment douloureux du choix, Julien ou le Seigneur ?

Orgueil et désordre amoureux, âme pure et fragile, c’est cela, Sophie.

Lee Fou Messica, jeune comédienne longiligne à la peau blanche, incarne bien la fragile Sophie. Elle est parfaite dans la longue robe gris-bleue, rehaussée d’une fine chasuble blanche, de Christian Gasc. Au gré des élans ou des confidences, elle tournoie ou s’immobilise près de sa petite table, le pied léger. Mais lorsqu’elle danse, ses épaules, malheureusement, ne laissent pas les bras évoluer avec souplesse et grâce. Cette tension dans le haut du corps, nous la constatons trop souvent pour que ce soit justifié. Son visage irradie la foi et l’innocence, mais nous aurions aimé une dramatisation plus marquée au fil des tourments, dans les regards, dans des silences éloquents. Le metteur en scène, semble-t-il, n’a pas suffisamment mis en valeur le jeu de la comédienne dont le phrasé et la diction manquent de souffle et de relief. De même, on aurait aimé que le cycle des saisons structurant le texte soit plus perceptible dans la mise en scène.

© Jean-François Mariotti | Le Pôle Média

Néanmoins, Lee Fou nous entraîne dans le beau texte poétique bien servi par la ponctuation musicale contemporaine : des instants joyeux de rock, de jazz, contrastent avec le tempo musical du cœur qui bat, et le violoncelle qui appelle une deuxième étreinte.

La chambre occupe l’espace scénique – petit plateau composé d’un tryptique gris-ardoise -, baignée d’une lumière tamisée restituant bien l’atmosphère intimiste, et quelle belle surprise, lorsque cette fenêtre dessinée à la craie par Sœur Sophie, se matérialise soudain et s’éclaire pour permettre l’éclosion de l’amour. On imagine alors le souffle de Julien, rappel mythique de Roméo et Juliette. Ici, deux roses rouges échappent à la banalité de la métaphore par une subtile présence, conjurant l’austérité des murs.

Une heure de poésie romanesque conjuguée au féminin, tout droit sortie des salons à l’orée du XXe siècle.


  1. Claude Mignot-Ogliastri, éditeur de la correspondance entre Anna de Noailles et Maurice Barrès.

Le visage émerveillé
De : Anna de Noailles
Adaptation : Ludovic Michel
Mise en scène : Thiery Harcourt
Décor : Patricia Rabourdin
Costumes : Christian Gasc
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Avec : Lee Fou Messica

Du 4 janvier au 26 février 2011

Théatre Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs, 75 001 Paris – Réservations 01 42 36 00 02
www.lesdechargeurs.fr

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