Critiques // « Le Théâtre de l’Amante anglaise » de Marguerite Duras au Théâtre Artistic Athévains

« Le Théâtre de l’Amante anglaise » de Marguerite Duras au Théâtre Artistic Athévains

Mar 22, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Théâtre de l’Amante anglaise » de Marguerite Duras au Théâtre Artistic Athévains

Critique de Bettina Jacquemin

Sans raison ?

En décembre 1949, on découvre un morceau de corps humain dans un wagon de marchandises. D’autres morceaux de ce même corps sont découverts dans d’autres trains. La tête manque. Une partie du corps que l’on ne retrouvera pas…
L’enquête révèle que tous les trains qui ont transporté les morceaux de ce corps sont passés sous un même pont, situé à Viorne. Le meurtrier est rapidement arrêté…Une femme, Claire Lannes âgée de 51 ans et mariée avec Pierre Lannes depuis vingt ans.
La criminelle avoue immédiatement l’assassinat. Elle dit avoir dépecé sa cousine Marie–Thérèse Bousquet, sourde et muette. Sans aucune raison…

© Brigitte Enguerand

« Aussi sourd et muet que la victime »

Marguerite Duras s’inspire d’un fait divers. Le crime évoqué s’est produit dans la région de l’Essonne, à Savigny-sur-Orge. Une femme, mariée à un militaire de carrière à la retraite avait fracassé le crâne de celui-ci à l’aide d’un marteau alors qu’il lisait le journal. L’épouse avait ensuite dépecé le corps et en avait jeté les morceaux dans des trains de marchandises.
Une fois arrêtée, elle tentera de comprendre le pourquoi de son acte mais en vain.

Comme souvent, Marguerite Duras, s’empare d’une histoire banale. Elle renomme les protagonistes. Ils deviennent Claire et Pierre Lannes. La victime du crime n’est plus le mari mais la cousine germaine de Claire, Marie-Thérèse Bousquet. La criminelle a avoué. Mais, quelles étaient ses motivations ? Marguerite Duras donne la parole aux protagonistes. Au mari, d’abord : « Je voulais savoir qui était Pierre Lannes, et avoir son témoignage sur sa femme. Je l’ai sorti de son cercueil pour qu’il soit entendu de tous une fois dans sa vie. Il était aussi sourd et muet que la victime : c’est la petite bourgeoisie française, morte vive dés qu’elle est en âge de penser, tuée par l’héritage ancestral du formalisme. » A l’épouse, ensuite. Claire Lannes se livre à son tour. La criminelle ne peut expliquer son geste. Un « interrogateur », sans identité précise, accompagne chacun d’eux, cherchant à comprendre…

© Brigitte Enguerand

Morte vive…

Le Théâtre de l’Amante anglaise présenté au Théâtre Artistic Athévains met en scène ce double face à face. Un dispositif scénique original place les spectateurs au centre de l’interrogatoire. Ceux-ci accompagnent l’interrogateur. Il devient le porte-parole de leurs doutes, leur incompréhension, leurs interrogations.

Nicolas Pignon incarne ce personnage central composant avec Laurent Manzoni (le mari) un premier duo « captivant » menant l’époux à prendre conscience de son aveuglement et de ses conséquences.

Puis, face à Claire, il enchaîne les questions. Va-t-elle dévoiler les raisons de l’impensable ? Tout comme Claire, l’interrogateur/le spectateur essaie de comprendre, fouille et s’interroge. Les questions sans réponses laissent envisager la folie. Une raison probable ; à défaut d’en trouver d’autres : « à force de chercher sans trouver on dira que c’est la folie, je le sais, peut-être lassée de vivre dans le présent mais extrêmement vivante dans l’évocation de son passé. »

Est-ce l’obsession d’un amour ancien ? Un mari… non aimé ? La résignation au bonheur ? Elisabeth Maccoco incarne cette solitude. Une interprétation forte. Un engagement entier et physique. La comédienne est l’âme du personnage. S’y ajoute une manière de porter le texte, avec grâce.

Un travail d’acteur fascinant. Une plongée au cœur de l’âme humaine.

Le Théâtre de l’Amante Anglaise
De : Marguerite Duras
Conception : Elisabeth Macocco et Ahmed Madani
Mise en scène : Ahmed Madani
Avec : Elisabeth Macocco, Laurent Manzoni et Nicolas Pignon
Scénographie : Raymond Sarti
Lumière : Jean-Luc Robert
Création sonore : Christophe Séchet
Création du Centre dramatique régional de Haute-Normandie / Théâtre des Deux Rives

Jusqu’au 17 avril 2010

Théâtre Artistic Athévains
45 bis rue Richard Lenoir, 75 011 Paris
www.artistic-athevains.com

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