Critique d’André Antébi –
Comme d’habitude, la démarche du tgSTAN est très intelligente, éthique et profondément réfléchie. Dans cette dernière création, Frank Vercruyssen s’attaque à un projet très personnel sur une région du monde particulièrement complexe, celle du croissant fertile formée par Bagdad, Beyrouth et la Palestine. Et d’emblée il pose la bonne question : « Comment, sur scène, aborder les conflits moyen-orientaux sans sombrer dans le paternalisme ou le néo-orientalisme ? ».
© Brynjar Vik
Tout d’abord, pour ne pas sombrer dans la pauvreté d’une revue de presse consacrée au conflit israélo-palestinien Vercruyssen va placer sa réflexion et sa création sous le sceau de l’internationalisme et de la multiplicité des points de vue, et invoquer des auteurs et poètes dont la parole dépasse le cadre géographique dans laquelle elle s’insère et touche à quelque chose de l’humain et de l’universel. « Le spectacle traite davantage de l’humanité en général que des Palestiniens et des Israéliens », affirme Frank Vercruyssen. Ainsi, constituée de fragments de poèmes du palestinien Mahmoud Darwich et de la libanaise Etel Adnan, de récits du britannique John Berger et du palestinien Mourid Barghouti, cette création trilingue anglais-arabe-français réunit sur scène des invités de tg STAN issus de zones géographiques variées. Des danseuses de Stavanger, de Toronto et de Gênes, des comédiens de Damas, de Naplouse et d’Anvers, des vidéastes de Ramallah se fédèrent ainsi autour d’un même épicentre : la région moyen-orientale.
© Lore Baeten
Dans cette création, la parole aussi est multiple et protéiforme. Elle est prise en charge par la musique, la danse, la voix des acteurs, les photos d’artistes palestiniens. Une multiplicité de point de vue devant en principe servir le formidable projet du tg STAN.
En principe seulement car à l’épreuve de la scène, Le tangible ne parvient pas à nous toucher.
Les créations du tg STAN sont généralement un moment de jeu absolu, la scène un lieu de partage, de surprise, d’expérimentation, d’exploration du présent qui permet aux acteur de tisser entre eux et avec leur public un lien de jouissance et de vie.
Dans leur dernière création nous sommes très loin de ce plaisir et de cette vitalité. Le public est oublié et la relation épistolaire entre les deux personnages principaux, laborieuse. Dans un souci de simplicité et d’épure qui va trop dans la désincarnation plus rien ne nous est transmis. La danse ne transmet pas grand-chose non plus tant nous assistons au cliché d’un mauvais théâtre contemporain.
Bref une fois n’est pas coutume, le tg STAN ne nous a pas comblé cette année.
Le Tangible
Un spectacle de et avec : Eve-Chems de Brouwer, Tale Dolven, Boutaïna Elfekkak, Liz Kinoshita, Federica Porello, Mokhallad Rasem et Frank Vercruyssen
Avec la participation de : Jolente De Keersmaeker
Matériel visuel : Ruanne Abou-Rahme et Yazan Al Khalili
Concept visuel : Alex Fostier, Ruanne Abou Rahme, Thomas Walgrave et Tim Wouters
Lumière : Thomas Walgrave
Son : Alex Fostier et Frank Vercruyssen
Coordination technique : Raf De Clercq
Traduction : Tania Tamari Anasir, Lore Baeten et Martine Bom
Interprète : Lore Baeten
Textes : Etel Adnan, Mourid Barghouti, John Berger, Mahmoud Darwish et Samih al-Qasim
Musique : Aswatt, Béla Bartók, Brahim El Belkani, Céline Bernard, The Bug, Johnny Cash, Tom Chant, Said Fafy, Morton Feldman, Jimmy Garrison, Franz Hautzinger, Mahjoub Jaffer, Elvin Jones, Mazen Kerbaj, Abbes Larfaoui, György Ligeti, Said Oughassal, Max Roach, Scuba, Sublime Frequencies, Christine Sehnaoui, Sharif Sehnaoui, Cassandra Wilson et Raed YassinDu 2 au 13 novembre 2010
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75 011 Paris
www.theatre-bastille.com