Critiques // « Le Roi Nu » d’Evguéni Schwartz dans une mise en scène de Philippe Awat à la Tempête

« Le Roi Nu » d’Evguéni Schwartz dans une mise en scène de Philippe Awat à la Tempête

Jan 21, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Roi Nu » d’Evguéni Schwartz dans une mise en scène de Philippe Awat à la Tempête

Critique de Bruno Deslot

La fable du despotisme

Une libre adaptation, de trois contes d’Andersen, pour dénoncer le conformisme et la terreur d’un pouvoir politique particulièrement coercitif.

Le Porcher amoureux, La Princesse au petit pois et Les Habits neufs de l’empereur, trois contes d’Andersen, inspirent Evguéni Schwartz pour écrire Le Roi nu, une fable politique exhalant un esprit de franche sédition. Sous le joug d’un père autoritaire, une jolie princesse se fait courtiser par un jeune porcher épris de la demoiselle. Mais le Roi, s’oppose fermement à cette union car il a bien d’autres projets pour sa fille. Il décide de la marier à un vieux barbon couronné, cruel et coquet, un roi d’un état voisin, dictateur tyrannique et fanatique. Obsédé par la pureté du sang, il poursuit ses sujets, un poignard à la main. Bien heureusement, Henri, le jeune porcher, et son compère Christian, se déguisent en tisserands pour proposer au roi une étoffe merveilleuse, invisible aux yeux des traîtres et des imbéciles. Aussitôt, celui-ci leur commande un vêtement pour sa noce.

L’univers grotesque de la farce

Auteur d’une douzaine de pièces pour enfants en forme de contes et des pièces pour marionnettes, Evguéni Schwartz (1896-1958) utilise, dès 1934, ce procédé pour s’adresser aux adultes. Recourant à la farce, l’auteur tente de dissimuler ses prises de positions politiques dans un genre qui lui semble difficilement condamnable. Mais l’intrigue déchaîne les foudres de la censure soviétique qui interdit la représentation du Roi nu, avant même que cette pièce soit portée à la scène, elle ne sera présentée que 23 ans plus tard, au public soviétique. Sujétion de l’individu, tyrannie exercée par les régimes totalitaires, terreur imposée par un régime politique coercitif, les thèmes sont traités avec une apparente légèreté mais ne font que dissimuler une situation grave et alarmante d’un pays, la Russie, qui mène une véritable course vers l’abîme. On a souvent pensé que Le Roi nu incarnait la figure de Joseph Staline, mais le propos incisif et autoritaire de la pièce, rappelle de toute évidence celle d’Adolphe Hitler dans sa quête improbable d’une race pure et l’affirmation d’un fanatisme dévastateur. Pour raconter ses fables, l’auteur choisit des héros qui incarnent la résistance et la lutte contre le pouvoir en place sur un ton toujours plus ironique. Henri le porcher et son ami Christian, déjouent les codes pernicieux d’une société que la terreur légitime. Habiles, moqueurs et tenaces, ils apportent un point de vue éclairé sur un régime dont on ne peut que faire le procès.

Philippe Awat a pris le parti d’aborder Le Roi nu dans sa dimension farcesque, voire grotesque pour proposer une mise en scène rythmée, colorée et résolument burlesque. L’univers politique est évincé au profit d’une lecture tout particulièrement comique de la pièce. Le rideau se lève sur une farandole de personnages atypiques, s’animant sur le plateau comme les marionnettes d’un théâtre pour enfants. Libéré de toutes contraintes scénographiques, l’espace est utilisé avec une précision étonnante et permet aux comédiens d’arpenter les chemins du grotesque dans une course assurément haletante. Jeu acrobatique, lorsque Henri entre en scène pour énoncer la situation initiale du récit, danses rythmées et cadencées quand la marmite de Christian fait résonner les tonalités d’une musique entraînante, les personnages se croisent, se rencontrent, se heurtent les uns aux autres comme les pions d’un échiquier sur lequel la partie engagée, serait perdue d’avance. Un sol blanc, recouvre le plateau sur lequel deux structures, l’une rectangulaire, l’autre en escalier, offre un point de fuite vers lequel tout bascule. La perspective est accentuée par un remarquable jeu de lumières qui donne toujours plus de profondeur à un univers fantasmé. D’un côté, un élément en accordéon, d’où sortent les têtes affamées des porcs dont Henri à la charge, constitue un lieu de passage obligé pour les gens du peuple. Les escaliers, hauts et larges, imposent une démarche altière à ceux qui les parcourent, une belle opposition qui file la métaphore du pouvoir. Le décor est suggéré par les lumières qui portent ombrage à la pâleur d’un fond de scène présenté comme un écran, dont la toile se déchire pour libérer les personnages qui y sont projetés. Entre habits de soleil ou couleur de lune, Peau d’âne peut se refaire une garde-robe. Les costumes, volontairement connotés, rappellent de toute évidence le monde magique du conte pour enfants, jouant la carte du gag et du clin d’œil attendrissant.

Magnifique distribution pour la lecture partielle d’une œuvre qui ne garde que la dimension comique du propos. Philippe Awat assure une direction d’acteurs d’une précision déconcertante qui dénude un roi époustouflant de justesse. Eddie Chignara (Le Roi), excelle dans une interprétation excessive d’un roi en proie à sa démesure. Nu ou habillé, il est d’une touchante sincérité et d’une générosité sans concessions. Pascale Oudot (La Princesse), candide et amoureuse, s’amuse à déjouer les codes trop convenus d’une écriture résolument contemporaine. Elle est la princesse au petit pois, aux robes de lumière et à la spontanéité déconcertante. Françis Ressort, aérien et subtil en jeune porcher aux formes apolliniennes, mène la danse avec toujours plus de plaisir, tout comme l’ensemble des comédiens entre lesquels le mot complicité semble faire autorité.

Une remarquable prestation, pour laquelle il ne faut surtout pas s’attendre à retrouver le propos politique de l’auteur, les comédiens s’amusent et le public avec.

Le Roi Nu
De : Evguéni Schwartz
Mise en scène : Philippe Awat
Avec : Anne Buffet, Eddie Chiragna, Mikaël Chirinian, François Frapier, Dominique Langlais, Pascale Oudot, Bruno Paviot, Magali Pouget, Françis Ressort
Scénographie : Valérie Jung, Frédérique Pierre, Nicolas Faucheux, Philippe Awat
Lumières : Nicolas Faucheux
Musique : Victor Belin, Antoine Eole
Son : Emmanuel Sauldubois
Costumes : Dominique Rocher
Maquillages et perruques : Nathy Polak
Animation graphique : Fanny Paliard
Chorégraphie : Véronique Ros de la Grange

Du 20 janvier au 14 février 2010

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris
www.la-tempete.fr

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