Critique de Denis Sanglard –
Les anges aussi s’ennuient.
La perfection, qui n’est pas de ce monde, n’est pas une sinécure. Alors notre ange, asexué, immortel, rêve d’être un homme. Un homme et un acteur. Aux singes bavard que nous sommes, l’ange, lesté de pierres puisqu’il ne connaît pas la gravité, va tenter de ressembler. Imprévisible et irrationnel, plagiaire par nécessité et survie, l’homme semble un standard idéal. Puisqu’un ange ne peut dépasser sa condition, un homme peut le tenter. Comment faire alors si ce n’est se greffer un cerveau humain. Sur la scène devenue laboratoire où flottent des cerveaux en bocaux, notre ange se bricole une cervelle idéale puisqu‘il n‘en a pas. Puisant dans le cerveau d’Einstein, de Gertrude Stein, de Wittgenstein, de Frankenstein, soit la science, l’art, la philosophie et l’intelligence artificielle, notre ange s’active et bavarde, philosophe, nous apostrophe. Il s’essaie aussi à l’art dramatique ne lâchant pas ce but de devenir un acteur. Si peu sûr de lui qu’il distribue des pierres au public pour qu’on le lapide si cela ne nous semble pas réussi.
© Wonge Bergmann
Deuxième volet d’une trilogie commencé avec « l’Empereur de la perte », « Le Roi du Plagiat » aborde un autre territoire. Après la condition de l’artiste, Jan Fabre en entomologiste se penche sur l’homme. La scène est un laboratoire, une récurrence dans la thématique de Jan Fabre, où est abordée la condition humaine. L’homme est un plagiaire. Il n’existe pas d’œuvre unique. Tout n’est qu’imitation, emprunt. Quel homme peut prétendre être unique? « Le philosophe, le scientifique ou écrivain contemporain qui n’a jamais eu le sentiment d’être un charlatan est un esprit superficiel dont les travaux ne valent probablement pas la peine d’être lus . »
Le rêve de l’ange, être le roi du plagiat, n’en est pas moins voué à l’échec. Il n’y a pas de standard idéal. Et on ne défie pas Dieu impunément.
© Wonge Bergmann
Dirk Roofthooft déploie à nouveau son immense talent. Jan Fabre lui a taillé un rôle à sa démesure qui se confirme encore ici. Aucun effet scénique mais une direction d’acteur concentré sur la performance de Dirk Roofthooft. Il est sur scène chez lui. Ange timide prenant de l’assurance, comédien cabochard broyant Shakespeare, chanteur se prenant pour le King Elvis, il sait tout faire. Avec une façon d’être sur scène qui n’appartient qu’à lui et surtout un rapport au public direct et sans manière, brut de coffre. Aucun effet, aucun truc. Sa seule présence amène quelque chose de ténu qui aboli le rapport traditionnel scène / salle. Bref un sacré menteur qui « ment la vie belle » comme l’exprime son personnage.
Le Roi du Plagiat
De : Jan Fabre
Texte, mise en scène, scénographie : Jan Fabre
Avec : Dirk Roofthoorst
Dramaturgie : Miet Martens
Assistante : Coraline Lamaison
Lumières : Harry Cole, Jan Fabre
Costumes : Ingrid Vanhove
Assistant au décor : Mieke Windey
Texte publié par l’Arche Editeur, traduction de Olivier TaymansDu 2 au 4 février 2011
Dans le cadre de la Trilogie Jan Fabre [L’Empereur de la Perte | Le Roi du Plagiat | Le Serviteur de la Beauté]Théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75 016 Paris – Réservations 01 53 65 30 00
theatre-chaillot.fr