Critiques // « Le Repas » de Valère Novarina à la Maison de la Poésie

« Le Repas » de Valère Novarina à la Maison de la Poésie

Jan 12, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Repas » de Valère Novarina à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

Un menu aussi gargantuesque que mystique !

Des organes à parler, des bouches pour inonder le plateau de mots qui forment un maillage linguistique exceptionnel et singulier, sont conviés à un Repas, prêt à être consommé, dévoré, dégusté au rythme soutenu et déconcertant des jeux de langage qui, comme une déflagration, s’abattent sur la scène.

En fond de scène, une table en verre avec assiettes et verres à pied invite les convives à se placer de part et d’autre de ce lieu d’où jaillissent les mots propulsés par un désir compulsif et jubilatoire. Seul, planté au milieu de la table, un poisson rouge tourne et retourne dans son bocal, observant les interventions des convives. Incarnation vivante de la nourriture, il est pourtant impossible à manger ! Le paradoxe est omniprésent dans cette quête de l’absurde réalité. Nous sommes au théâtre mais il n’y a pas de véritables personnages (La Personne creuse, le Mangeur d’ombre, La Bouche Hélas, L’Homme Mordant ça, Jean qui dévore corps, La Mangeuse ouranique, L’Enfant d’outre Bec, L’Avaleur jamais plus), pas de véritables dialogues non plus, juste, et c’est déjà beaucoup, une grande récréation où les farandoles de mots s’enchaînent dans un esprit jouissif et bouffon. « Le Repas » porte en filigrane toute une réflexion sur notre passage sur terre et sur la question de la mort qui obsède Novarina. Pour preuve, ce squelette noir dont le crâne à moitié fendu sert de boîte à proverbes absurdes que les comédiens déclament en s’adressant au public, car nombreuses sont les tentatives de faire de cette expérience linguistique un moment de partage.
Adresses au public, participation active lors de moments dansés ou chantés, « Le Repas » se partage dans la bonne humeur ou le chaos d’une angoisse palpable lorsque tout nous échappe, à condition que l’on maîtrise quelque chose dans ce monde absurde !

Ici, le rôle principal est donné au langage mais en disant cela on ne dit rien ! C’est en tout cas ce que l’on entend toujours à propos des compositions de Novarina ! Des productions littéraires qui ne s’apparentent à aucun genre théâtral et qui pourtant, en personnifiant le langage fait acte théâtral ! Etonnant, surprenant, c’est une expérience à vivre, à entendre, à ressentir afin d’éprouver un tel phénomène avant même de le juger ! Il y a quelque chose du charnel dans le travail de Novarina que les comédiens interprètent avec un talent absolument remarquable. Ils se laissent charrier par les mots qui, à force d’accumulations, forment comme des plaines d’alluvions que l’incertitude défigure, transforme, modèle pour produire des images fragiles et insaisissables parce qu’éphémères.

Thomas Guillardet s’appuie sur le langage personnifié de Novarina et ce jeu permanent avec les mots pour réaliser une mise en scène étonnante d’inventivité avec un travail remarquable sur le texte et les chansons. Les comédiens s’abandonnent dans une totale confiance sur un plateau encombré d’incertitudes se matérialisant par des cartons de rangement d’où l’on sort des bottins, des couverts pour le pique-nique, des banderoles et panneaux de revendications « Applaudissez, Oui, Non, Peut-être… » etc… le tout orchestré de main de maître par le régisseur perché à cour qui, depuis sa table de mixage, offre un paysage sonore insolite !
Les comédiens interpellent à tour de bras la langue de Novarina avec un talent confondant, tentent « l’expérience enfantine de l’incompréhensibilité du langage », se lancent à corps perdu dans une course folle les menant de l’agape à l’apocalypse. Malgré les quelques fausses fins qu’impose cette composition roborative, leur énergie demeure intact, portant en gloire le théâtre aphoristique de Valère Novarina. Offrant de belles images rabelaisiennes, il est difficile de ne pas penser au  « Désir attrapé par la queue » de Picasso (1881-1973), une œuvre écrite en trois jours sous le principe de l’écriture automatique proposant des images évocatrices sur le ton de l’humour et incarnées par des convives (L’Angoisse grasse, L’Angoisse maigre, Les Rideaux…) occupés par trois choses : la faim, le froid et l’amour.
Chez Novarina, cette parole inouïe qui cherche à se libérer de son rôle habituel – signifier – fait que le sens souvent nous échappe mais, comme le dit La Mangeuse ouranique : « Le monde est un immense tube dont nous ne savons aucune des conclusions mais dont nous entendons la logique ».

Le Repas
De : Valère Novarina
Mise en scène : Thomas Quillardet
Assistant à la mise en scène : Nicolas Boucher
Costumes : Karim Vintache
Scénographie : Kim Lan Nguyen
Lumière : Manuel Desfeux
Musique : Sacha Gattino
Avec : Olivier Achaud (La Personne creuse), Aurélien Chaussad (Le Mangeur d’ombres), Maloue Fourdrinier (La Bouche Hélas / L’Homme mordant ça), Christophe Garcio et Aliénor Marcadé-Séchan (en alternance, Jean qui dévore corps), Caroline Darchen (La Mangeuse ouranique), Claire Lapeyre Mazerat (L’Enfant d’outre bec / L’Avaleur jamais plus) et Sacha Gattino (musicien)

Du 19 janvier au 6 février 2011

Maison de la Poésie
Passage Molière, 153 rue Saint-Martin, 75 003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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