Critiques // « Le Récit de la Servante Zerline » d’après Hermann Broch, mise en scène Yves Beaunesne

« Le Récit de la Servante Zerline » d’après Hermann Broch, mise en scène Yves Beaunesne

Fév 07, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Récit de la Servante Zerline » d’après Hermann Broch, mise en scène Yves Beaunesne

Critique  d’Anne-Marie Watelet

Dans cette adaptation de Hermann Broch, romancier et essayiste autrichien du début du XXe siècle, nous sommes conviés à partager les souvenirs intimes d’une femme. Monologue du début à la fin, car il a voulu que ces souvenirs, puisés dans une mémoire sollicitée et disponible, puissent être exprimés dans l’immédiat – des instantanés, et qu’ils surgissent tels quels dans la parole du personnage.

« L inoubliable est un morceau d’avenir, d’éternité (…). L’inoubliable est un cadeau de la mort. »

Elle est là, Zerline, la cinquantaine, en manteau gris, au milieu d’une pièce à vivre qui tient lieu de chambre. Murs gris, objets désuets, teintes et poussières du passé. Pourtant, on s’empresse de le dire, pas de tristesse ni d’amertume ici. Elle est là, debout, mue par le désir de forcer sa mémoire pour revivre des plaisirs, s’attendrir et régler des comptes, avec elle-même, avec les autres.  Elle a servi de longues années chez une baronne qu’elle détestait et elle raconte.
D’allure plutôt noble, cette servante tient un discours de femme libérée, surtout pour l’époque, (rien à voir avec les propos de la gouvernante dans « Les Soliloques de Mariette » représentée en automne 2010). Car, en même temps qu’elle se souvient, elle analyse ses sentiments de jadis, juge sans complaisance son entourage, déplorant la perte des valeurs sociales et humaines. Pas étonnant, puisque l’auteur était aussi scientifique, diplômé en psychologie.

Zerline pour de vrai.

Le metteur en scène Yves Beaunesne fait jouer la comédienne dans la retenue, la nuance, donnant au texte une tonalité intimiste. Marilù Marini respecte ce choix à merveille. Beaucoup d’assurance, peu de gestes, de brefs et amples déplacements, une gestuelle qui dénote une grande maîtrise de soi. Celle-ci est renforcée par la fermeté dans les traits du visage, dans les regards. Les désirs de liberté, les rêves, les indignations passés de Zerline, elle les fait siens. Même ses désirs et actes amoureux, qu’elle évoque avec chaleur et complicité ! La large palette des sentiments se lit sur le visage de la comédienne, et cela dans une économie de moyens efficace : pas de cris, pas de pleurs, aucune outrance dans les expressions. Dans sa voix mesurée, sa bouche à peine ouverte, il y a toutes les passions. Au fil de cette écriture simple et à la fois ciselée, expressive, elle a su placer les accents, et des ruptures bien à propos dans le phrasé, ménageant quelques chutes ironiques qui font rire le public.
De la profondeur et de la précision dans cette interprétation bien conduite ! Toutefois, nous parlerons d’une réussite de lecture, plutôt que de jeu.
Dans cette chambre, un homme est présent, assis ou couché, parlant à peine, les yeux perdus dans le vague ou l’étonnement. Parfait dans son inexistence, il se fond dans le décor où tout est figé par le temps.

La scénographie est sobre, comme le décor : une lumière extérieure – jour, rendue par un tissu blanc, retenue par un large trou au plafond (procédé déjà vu); puis, à mesure que le récit de Zerline s’enfonce dans une intimité plus profonde, l’éclairage jaune s’affaiblit pour noyer finalement la chambre dans une semi-obscurité verte. L’accompagnement musical discret apporte une note mystérieuse parmi cette solitude apparente.

Ce récit, délicat et puissant, avec ses réflexions sur le temps et la mémoire, sur les comportements, est servi par une comédienne de talent, chez qui on devine une riche expérience. Le metteur en scène s’est approprié le texte avec intelligence.

Le Récit de la Servante Zerline
D’après : Herman Broch
Mise en scène : Yves Beaunesne
Adaptation et texte français : Marion Bernede et Yves Beaunesne
Avec : Marilù Marili, Brice Cousin

Du 4 au 6 février 2011
Théâtre de l’Ouest Parisien
1 place Bernard Palissy, 92 100 Boulogne Billancourt – Réservations 01 46 03 60 44
www.top-bb.fr

Du 12 au 28 mai 2011
Théâtre de l’Athénée
Square de l’Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, 75 009 Paris – Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com

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