Critiques // « Le Petit Chaperon Uf » de Jean-Claude Grumberg

« Le Petit Chaperon Uf » de Jean-Claude Grumberg

Mar 13, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Petit Chaperon Uf » de Jean-Claude Grumberg

Critique de Bruno Deslot

Le Petit Chaperon voit la vie en jaune !

Vêtue de rouge, portant un panier à sa grand-mère, le Petit Chaperon Rouge rencontre Wolf, le loup qui lui apprend qu’elle est Uf au pays des Ufs. Désormais, tout est interdit !

© DR

Dans le monde des Ufs il y a des règles et le Loup, habillé en caporal, est là pour les rappeler au Petit Chaperon qui maintenant est Uf aux Ufs. Tout y est interdit, ou presque, la galette, le beurre, le rouge de la capuche du Petit Chaperon lui sont dérobés au profit de la loi, d’une autorité virtuelle qui impose ses codes et dicte les conduites. Le Loup, avance masqué dans cette soumission de l’autre à un système auquel il souhaite l’inféoder. Caporal benêt et grognant, on comprend bien vite que ce Loup appartient à une galerie de personnages à l’image du propos : des bêtes féroces et obéissantes prêtes à dompter tout un peuple sans même savoir pourquoi, ni pour qui ! Pas besoin de connaître le thème de prédilection de Jean-Claude Grumberg pour comprendre que bien au-delà du simple conte, il souhaite invoquer l’Histoire, celle par laquelle des thèmes porteurs de sens et toujours d’actualité tentent de dépasser la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais la mayonnaise ne prend pas. La construction dramaturgique du texte trahit rapidement, trop rapidement sans doute, une association prétexte (conte/Histoire) pour explorer et amorcer des pistes de réflexion chez les enfants et par conséquent parmi ceux qui les entourent. « Le Petit Chaperon Rouge » est une œuvre patrimoniale, pas besoin de l’expliquer aux enfants pour qu’ils puissent identifier les personnages mais après ? La spoliation, la perte de l’identité, l’exclusion etc… tous ces thèmes passionnants s’enchaînent à l’état résiduel sans jamais aller bien loin. De ce fait, le Loup est bête et méchant, aussi violent qu’obéissant. Il applique le règlement. Et le Petit Chaperon Rouge est une potiche soumise et candide mais qui cherche tout de même à comprendre.
L’écriture de cette pièce semble avoir été expédiée par son auteur qui, une fois le volet « persécution des Juifs » ayant été traité, arrose son texte de quelques autres références suffisamment universelles pour ouvrir le chemin des possibles à ceux qui auront la responsabilité de le parcourir !

© DR

La Compagnie Etincelles s’approprie cette composition laborieuse avec un style et une musicalité qui donnent davantage de consistance à l’ensemble de la proposition, enfin en partie. Des jeux d’ombres permettent de présenter les personnages comme les fantômes d’une histoire ou de l’Histoire, associant l’inquiétante étrangeté des sous-bois à celle toujours prégnante d’une menace qui pèse sur le devenir des figures tutélaires d’un conte que rien ne semble pouvoir ébranler et pourtant !
Un jeu de bascule entre la cruauté et la violence du loup qui s’oppose à celle du Petit Chaperon s’ourdit comme un complot, une vaste déflagration dont l’interdit demeure le maître-mot. Wolf, le Loup, bête et borné, a l’esprit de tiroirs dans lesquels il range le monde systématiquement. C’est un bon petit soldat, il ne répond pas aux questions du Petit Chaperon Rouge, il affirme que « c’est la loi ! ». Un jeu frontal plaçant les comédiens en regard face à leur destin, force le trait de la responsabilité des acteurs du drame dans cette course haletante vers la dépossession de l’autre, entre autre. Les comédiens déroulent des panneaux de tissus leur permettant de situer les lieux qu’ils parcourent, offrant ainsi un bel espace de jeu à exploiter dans une semi-obscurité presque permanente. La scénographie est ingénieuse, esthétique et réfléchie. Elle va bien au-delà du texte en exploitant l’ensemble de la proposition dans une démarche métonymique. Tout est facilement lisible, comme ces papiers que Wolf réclame au Petit Chaperon Rouge dès le début de la pièce et qu’il fait glisser le long d’un fil suspendu d’un bout à l’autre de la scène. Le rapport scène/salle, imaginaire/réel est bien présent, malgré un manque de rythme qui parfois suscite l’ennui. Le Petit Chaperon Rouge est d’une grande justesse, attachante et fragile elle affronte Wolf avec aplomb, même si la comédienne interprétant le Loup verse parfois dans la caricature. La fin de la pièce fait l’effet d’un pétard mouillé. Le Petit Chaperon Rouge propose de raconter la véritable histoire, celle du conte original. En quelques répliques, l’affaire est réglée, puis les didascalies indiquent que les personnages jouent de la musique d’Ufs, mais gaie ! Dès lors, quelques notes de musique et un salut… puis rideau !
Ce final en vaut il vraiment la peine surtout lorsque l’on vient d’assister à une première partie de grande qualité ? A négocier avec l’auteur !
Le Petit Chaperon Uf questionne bien plus qu’il n’y paraît. De plus, la pièce est servie avec talent par une équipe artistique investie loin des « opus déchets » auxquels on assiste trop souvent.

Le Petit Chaperon Uf
De : Jean-Claude Grumberg (Ed. Actes Sud, collection Heyoka Jeunesse)
Mise en scène : Isabelle Charaudeau
Scénographie : Céline Diez
Lumières : Joseph Jaouen
Costumes : Raphaële Sinaï
Masques : Ana-Eva Berge
Avec : Rafaële Arditti, Laurence Despezelle-Perardel, Hervé Sovrano

Jusqu’au 23 mars 2011

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75 006 Paris
www.lucernaire.fr

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