Critiques // « Le Loup » de Marcel Aymé par la Comédie Française au Théâtre de l’Ouest Parisien

« Le Loup » de Marcel Aymé par la Comédie Française au Théâtre de l’Ouest Parisien

Déc 07, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Loup » de Marcel Aymé par la Comédie Française au Théâtre de l’Ouest Parisien

Critique d’Ottavia Locchi

Marcel Aymé a écrit là un conte d’une poésie rafraîchissante. Interprété par les comédiens de la troupe de la comédie française, merveilleux et qualité font la paire et emmènent les spectateurs de tout âges aux yeux écarquillés au cœur de l’aventure de Delphine et Marinette.

© Brigitte Enguerand

Les deux petites filles ont envie de jouer, mais à deux c’est pas marrant. Et puis un jeudi après-midi, lors de l’absence de leurs parents, le loup pointe le bout de son museau à la fenêtre. En voyant les deux petites filles, le loup fut pris d’une telle tendresse qu’il se sentit incapable pour le restant de ses jours de manger une seule de leurs semblables : il était devenu bon. Dans ce conte, les bons et les méchants sont inversés, et la morale déjà induite par Charles Perrault dans son « Petit Chaperon Rouge » est là aussi incrustée dans la fable : il faut parfois savoir se méfier de certains loups … à deux pattes ?

Delphine : Il a l’air doux comme ça.
La Mère : Dit-elle
Delphine : Mais je ne m’y fie pas. Rappelle-toi « Le Loup et l’Agneau »… L’agneau ne lui avait pourtant rien fait.
Le Père : Et comme le loup protestait de ses bonnes intentions, elle lui jeta par le nez :
Delphine : Et l’agneau, alors ?… Oui, l’agneau que vous avez mangé ?

Le texte est interprété dans son intégralité, c’est-à-dire que toutes le injonctions sont exprimées par les comédiens. Ce découpage du texte si adroitement mené évoque directement chez le spectateur une lecture du soir pour un enfant avant qu’il ne s’endorme : Le texte retentit si bien dans l’imaginaire et la voix adulte tempère si bien les caractères des personnages que les images apparaissent, comme par magie. Cinq personnages en scène, Delphine, Marinette, le loup, le père et la mère. Les cinq comédiens sont époustouflants : les deux petites filles, Véronique Vella et Elsa Lepoivre sont touchantes de naïveté et de sincérité. Les parents, incarnés par Sylvie Bergé et Christian Cloarec sont à la fois des narrateurs hors-pairs et des parents que personne ne souhaiterait ! Et la pointe de caricature parentale qu’ils insufflent leur va si bien ! Michel Vuillermoz, aussi loup qu’une tendre bête puisse être, est surprenant de naturel dans ce rôle qu’il a enfilé comme un pyjama.

© Brigitte Enguerand

La mise en scène soignée de Veronique Vella remplit la salle d’énergie et utilise tout l’espace scénique, et même une part de public. Grâce à la scénographie habile d’Eric Ruf, les absents des scènes (souvent le père et la mère) se glissent sur le toit pour faire office de narrateurs / témoins.
Au delà du texte si amusant et captivant de Marcel Aymé, les comédiens poussent la chansonnette, à capella et en harmonies s’il vous plaît ! De quoi ravir nos ouïes autant que nos yeux ! Leur gestuelle précise et cocasse fait penser aux dessins animés qui ravissent l’enfance et construisent une part de bonheur. Les costumes, aussi simples que possible, sont basés sur deux, trois détails qui ciblent le caractère des personnages : deux charmantes chemises de nuit blanches pour les petites filles qui se promènent nu-pieds, veston et chemise pour le père, jupe et châle pour la mère, et pour le loup un simple ensemble noir qu’il habille de lourdes bottes et d’un long manteau éclatant. Pour parfaire ce personnage central, le loup imposant est également magicien… et cette touche de magie le rend encore plus mystique, à la fois insaisissable et poétique.

– L’agneau que j’ai mangé, dit-il. Lequel ?
– Comment ? vous en avez donc mangé plusieurs ! s’écria Delphine. Eh bien ! C’est du joli !
– Mais naturellement que j’en ai mangé plusieurs. Je ne vois pas où est le mal… Vous en mangez bien, vous !

Marcel Aymé (1902 – 1967) est un auteur du siècle dernier connu surtout pour ses écrits tels que la nouvelle « Le Passe-Muraille » ou le roman « La Jument Verte ». Ses Contes du Chat Perché dont est issu « Le Loup » ont été édités entre 1934 et 1946. On ignore souvent que Marcel Aymé a aussi été scénariste pour le cinéma, et a écrit entre autres pour Louis Daquin (« Madame et le mort », 1942) ou Jean-Pierre Mocky (« La Bourse et la vie », 1965).

© Brigitte Enguerand

Il fallait la Comédie Française pour donner tout le relief du texte de Marcel Aymé, et y mettre en valeur les inspirations de celui-ci : « Dans Les Contes du Chat Perché, les personnages durs, ceux qui font peur, ce sont les parents. Delphine et Marinette, à l’évidence, mènent une vie recluse et pleine d’interdits […]. Ce loup, ce sont les nouvelles de l’extérieur, c’est la vie, la connaissance, le changement, un appel vers la liberté, un carré de ciel qui enfin apparaît. » nous explique Véronique Vella. Ce loup, devenu si bon, reste cependant un loup, voilà la complication. Fort heureusement, un conte ne peut pas mal se terminer puisque c’est un conte. Il suffit d’ouvrir le ventre du loup pour récupérer les deux petites filles qui se sont fait dévorer… et oui, chassez le naturel, il revient au galop ! Un loup reste un loup, aussi bon soit-il !

Avec de très belles images, un plateau transfiguré en maison de bois sortie tout droit des contes de notre enfance, la troupe de la Comédie Française nous invite à nous replonger, le temps d’un conte, dans la peau de l’enfant que nous étions… étions ? Que nous sommes encore ! De la poésie, de jolis mots et la fée Véronique Vella nous a transportés d’un coup de baguette magique dans le monde merveilleux des contes du chat perché. Les Studios Walt Disney n’auraient pas fait mieux !

Le Loup (reprise)
De : Marcel Aymé
Mise en scène : Véronique Vella
Avec : les comédiens de la troupe de la Comédie Française Véronique Vella, Sylvia Bergé, Michel Vuillermoz, Elsa Lepoivre, Christian Cloarec
Assistante à la mise en scène : Raphaëlle Saudinos
Scénographie : Éric Ruf (de la Comédie Française)
Costumes : Virginie Merlin
Lumières : Arnaud Jung
Réalisation Sonore : Jean-Luc Ristord
Musiques originales : Vincent Leterme
Couplet additionnels : Lucette-Marie Sagnières
Collaboration magique : Félicien Juttner (de la Comédie Française)

Du 3 au 8 décembre 2010

Théâtre de l’Ouest Parisien
1 place Bernard Palissy, 92 100 Boulogne-Billancourt – Réservations 01 46 03 60 44
www.top-bb.fr


Voir aussi :
L’article de Bruno Deslot

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