© Jean Couturier
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Au Japon le hikikomori est une personne qui reste enfermée chez elle, dans sa chambre, refusant de sortir. Phénomène qui touche les jeunes mais pas seulement. Partant de sa propre histoire, Hideto Iwai, metteur en scène, acteur et auteur, bouleverse, non sans humour parfois, par cette pièce, fiction documentaire nourrie de son expérience, narrant le destin croisé de quatre d’entre eux dont lui-même. Les motivations qui poussent chacun à demeurer cloîtré, phobie sociale, harcèlement scolaire, entre autre, sont un portrait en creux d’une société nippone violente et complexe dans ses rapports sociaux et économiques. Une violence exprimée au sein de la famille de Taro, le plus jeune d’entre eux, dont le père subit en parallèle un déclassement social, une perte d’emploi dramatique, entraînant un véritable séisme et une prise de conscience soudaine et tragique de ses rapports avec son fils… Hidetao Iwai dans son propre rôle, ou presque – son personnage porte le nom de Tomio – montre la difficile réinsertion, douloureuse parfois, au sein de la société de ces ermites plus ou moins volontaires ayant perdu tout repère, voire toute émotion. L’échec aussi, tragique et brutal pour Kazuo après vingt-huit ans sans bouger de sa chambre, au seuil d’une vie nouvelle. De même les ravages au sein des familles désorientées, impuissantes par ce phénomène qui les dépasse et désorganise la cellule parentale. Ainsi est-on bouleversé par le dévouement absolu du père de Kazuo, vieil homme impuissant, et dont l’image de son fils devient le reflet de son propre déclassement, de son isolement, de son exclusion. Réinsertion donc au sein d’un foyer spécialisé, pour une thérapie, auquel Hideto Iwai-Tomio ici apporte son expérience et son concours, lui-même fragile et maladroit encore, bouleversé souvent, après plusieurs années enfermé dans sa chambre à regarder la retransmission de matchs de catch, habillé d’un collant et d’une cagoule. Une activité sportive qui lui permettra de s’extraire de son enfermement. Hideto Iwai avec trois fois rien, quelques tables poussées pour déterminer l’espace, un espace lui-même clos, fait se croiser ces destins singuliers, dans une mise en abîme qui renvoie toujours, en échos, à sa propre histoire. Les comédiens ne quittent ainsi jamais le plateau, se croisant, toujours présents dans cet espace résolument fermé. On glisse ainsi d’un destin à l’autre qui tous convergent vers ce foyer de réinsertion où, réunis, va se nouer, se faire ou se défaire, l’avenir de chacun, patients et parents. C’est une mise en scène fluide, d’une grande clarté, malgré quelques petites longueurs parfois. Qu’importe en fait, suspendu très vite que nous sommes à ces vies recluses. Hideto Iwai souligne d’emblée la théâtralité, met une distance volontaire et nécessaire pour éviter tout réalisme par trop poisseux et laisser une jolie part à l’imaginaire. Qu’importe alors si sa propre mère est jouée par un homme sans artifice autre qu’une vilaine robe enfilée par-dessus un pantalon pour quelques scènes. Ce qui semble importer c’est de livrer des faits bruts, à peine policés. Jamais d’explication, encore moins psychologique. Certes on devine une société malade, fermée elle aussi, close en elle-même, mais le regard d’Hideto Iwai est objectif, entomologique, et n’élude pas la violence inhérente de certains à la fois bourreaux et victimes, ni les conséquences qui fracassent et broient les êtres fragilisés par une situation qui les dépasse et dont ils n’ont pas la maîtrise… Il y a son point de vue mais celui des autres importe aussi, tout autant, qui ne lui appartiennent pas et qu’il expose sans fard, sans jugement. C’est de la confrontation de ceux-ci et leur particularité qui fait toute la richesse et la force de cette pièce. Sa mise en scène surprend aussi par quelques détails semblant anodins, quelques gestes esquissés parfois, quelques merveilleuses et drôles incongruités qui déstabilisent l’ensemble, met une distance salutaire et rend fragiles nos certitudes. C’est sans doute cela aussi qui est formidable c’est de donner au simple particulier une portée si générale et universelle. Tomio, Taro ou Kazuo ne sont que les symptômes d’une société malade, une fabrique d’exclus, qu’elle soit d’ici ou de là-bas. Ce qu’ils nous renvoient n’est que notre propre impuissance, exacerbée ici, et notre capacité ou non à la résilience. Le théâtre de Hideto Iwai, qui fut sa résilience, mine de rien, avec une feinte légèreté et sans esbrouffes est un théâtre de résistance.
Le Hikikomori sort de chez lui texte et mise en scène Hideto Iwai
Avec Hideto Iwai, Chiang Limei, Kanji Furutachi, Kentaro Tamura, Mizuho Nojima, Tetsu Hirahara, Toshiaki Inomata, Shuhei Takahashi, Riko Fujitani
Régisseur général Takumi Tanizawa
Assistant du régisseur général Asako Watanabe
Création des structures Mitsuhiro Akiyama
Lumières Daisuko Matsumoto
Son Yoshihiro Nakamura
Projection Tokyo Style
Costumes Ayuko Takagi
Régisseur sur-titrages Miwa Monden
Traduction de la pièce Miyako Slocombe
Supervision de la traduction Aya Soejima
Du 15 au 17 mars 2018
A 20h, le samedi à 15h
Maison de la culture du Japon à Paris
101bis quai Branly
75015 Paris
Métro Bir-Hakeim
RER C Champs de Mars
Réservation www.mcjp.fr
Hidato Iwai sera prochainement au T2G-Théâtre de Gennevilliers du 22 novembre au 3 décembre, en coproduction avec le Festival d’Automne dans le cadre de Japonisme 2018. Création avec comédiens professionnels et habitants éloignés de la vie active (en réinsertion, Roms…) à partir des récits de leurs propres vies.
comment closed