Paroles d'Auteurs // « Le Grenier » de Yôji Sakate

« Le Grenier » de Yôji Sakate

Mai 31, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Grenier » de Yôji Sakate

Lecture d’Anne-Marie Watelet

Ce texte est une pièce de théâtre écrite en 2002 par un auteur japonais célèbre (On a pu l’entendre récemment à France Inter). Créée en 2010 à Grenoble, elle fut jouée en mars dernier à Paris au Théâtre du Rond Point.

Un espace reclus

Un contexte socioculturel contemporain, une mise en scène aux personnages multiples, mais un espace unique : un grenier – bien que celui-ci change d’apparence selon les situations, et de lieu géographique selon l’imagination des personnages. Qu’est ce grenier et quel est son rôle ? Très en vogue au Japon depuis une bonne décennie, il est bien décrit par le personnage du présentateur T.V. : une petite case en kit, tout juste suffisante pour dormir, penser, discuter, faire l’amour, mais surtout pour s’isoler : échapper à la pression sociale ou familiale, enfouir la frustration des rêves, et de l’avenir auxquels les jeunes ne croient plus : voilà le fond.

Un jeune homme s’est suicidé dans ce grenier, son frère aîné recherche le fabricant qu’il tient pour responsable : voilà pour l’intrigue. Celle-ci, qui opère en filigrane, est le prétexte à faire défiler dans vingt deux brèves scènes divers personnages-types : policiers, samouraïs, professeur, présentateur télé, ainsi que des anonymes de tous âges, des deux sexes. Seuls, quelques uns comme le frère aîné, l’homme au bonnet, l’acheteur, apparaissent plusieurs fois, assurant le fil conducteur.

Souvent à deux dans la « case », ils font part de préoccupations, de désirs refoulés…D’autres jouent à des jeux de hasard, suspendus au temps qui s’écoule. Et c’est à travers leurs menues activités et leurs dialogues simples et concrets, que l’auteur nous fait entrevoir de façon originale et discrète des aspects négatifs de la vie sociale, conséquences d’un modernisme et d’une économie capitaliste à outrance.

Ainsi la manipulation par les dérives que permettent les moyens de communication : une jeune fille trahie par son ami se rebelle et crie : « Le Japon est foutu avec des gens comme toi » ! Manipulation et rentabilité avec une culture codifiée, limitée à des feuilletons télé et à trois genres « littéraires » : policiers, de guerre, et de samouraïs, lectures que réitèrent les personnages comme n’ayant pas d’autres choix.

La concurrence économique féroce par exemple dans la vente des greniers : les « authentiques » et les contrefaçons pléthoriques. Et bien sûr la pauvreté répandue qui nuit ici aux étudiants…Le sentiment de fatalité est présent dans les propos des personnages, le fils finit par dire à sa mère qu’il souhaite une guerre qui enflammerait tout, pour tout reconstruire ensuite.

Cependant nous devons dire que presque tous les dialogues sont énoncés de façon légère, les échanges d’avis ou de faits quotidiens sont dits sur le ton anodin ce qui ne donne pas l’impression de désastre et de tristesse. Le lecteur vit totalement l’existence de ces gens ordinaires, grâce à une écriture simple, transparente, au plus près du réalisme. Au-delà de la représentation socioculturelle, c’est une réflexion sur le sens de l’humanité dont la portée et la teneur sont universelles. En effet, chacun pourra noter que ces problèmes sont aussi les nôtres, ceux rencontrés dans les pays occidentaux et ceux qui les envient, – hélas. Les rêves de paix – que dirait Anne Franck aujourd’hui devant la guerre israëlo-palestienne ? se demande une adolescente ; les frustrations à l’égard du consumérisme, l’angoisse devant la nature dénaturée – on ne voit plus les étoiles à Tokyo et un couple calfeutre totalement le grenier afin d’échapper aux virus.

Ces thèmes ainsi que le sentiment d’impuissance surgissent discrètement des répliques souvent brèves et interrogatives des personnages. Ils réapparaissent en contrepoint dans la pièce pour procurer une impression de rythme et pour amplifier l’étendue de ces problèmes. Les « tableaux » se succèdent et jamais nous n’avons ressenti d’ennui : l’auteur a subrepticement renvoyé les questions et le contexte des personnages à nous-mêmes, sans que nous nous en rendions compte durant la lecture. Mais après celle-ci cet univers devient le nôtre et subsiste en notre esprit pour susciter en nous la réflexion et renouveler les désirs d’agir pour le bien de l’humanité, et plus modestement aussi d’être vigilants à nos comportements mais également à ceux qui nous dirigent : nous maintenir dans un esprit toujours critique en nous préservant de toutes utopies vaines et destructrices qu’ils nous font miroiter. Tout cela sans aucun sentiment de pesanteur dans cette lecture réjouissante.

Bravo et merci pour cette pièce engagée.

Le Grenier
De Yôji Sakate
Traduit du japonais par Corinne Atlan

Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay-Lussac, 25000 Besançon

www.solitairesintempestifs.com


Voir aussi :
Le Grenier mis en scène par Jacques Osinski au Théâtre du Rond Point

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