Critiques // « Le Gorille » d’après Franz Kafka par Alejandro et Brontis Jodorowsky

« Le Gorille » d’après Franz Kafka par Alejandro et Brontis Jodorowsky

Oct 01, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Gorille » d’après Franz Kafka par Alejandro et Brontis Jodorowsky

Critique d’Ottavia Locchi

Une épopée hors du commun

Un gorille devenu humain ou un humain laissant échapper quelques restes de gorille : voici la fascinante aventure d’un être animal passant d’une race à une autre. Brontis Jodorowsky, transformé en ex-gorille plus vrai que nature, est fascinant de justesse et de virtuosité.

Le Gorille est un spectacle adapté par Jodorowsky père (Alejandro) de la nouvelle Rapport Pour une Académie de Franz Kafka, et interprété par Jodorowsky fils (Brontis).

© Adrien Lecouturier

Un humain anciennement gorille est invité à raconter sa vie métamorphosée devant un public d’académiciens. En rechignant au début de cette tâche, le gorille certifie avoir complètement coupé tout rapport émotionnel avec sa vie d’avant pour pouvoir mieux avancer dans celle-ci. L’ayant oubliée, il ne peut nous la retracer. Pourtant, très vite il se lance dans le récit de son existence à partir de sa capture, et nous rapporte les étapes et les efforts qui ont été nécessaires à sa mutation. De la caisse à la cage, de l’imitation aux cours, de l’usage de la parole à la réflexion, de l’employé à l’employeur, le phénomène de music hall nous rapporte sa soif d’évolution au fil de sa progression d’animal à humain.

Ce prodige livre en cabrioles et sans pudeur ses obstacles, ses rencontres, et surtout le pourquoi de cette « volonté de fer » : s’en sortir. Sortir de la cage. Ne plus être enfermé. N’y a-t-il rien de pire que de se sentir étriqué dans une existence qui ne lui appartient pas ? À force d’aller plus loin, plus haut, de savoir tenir des conversations et de gagner le pouvoir auprès de ses nouveaux pairs, le gorille se demande le sens de tout cela. « Plus j’apprenais à parler, et moins je savais quoi dire« .
Finalement, qu’elle est l’utilité d’être un humain ?

Un one-monkey-show épatant !

Au delà de l’exercice stylistique, il est impératif de souligner la performance de Brontis Jodorowsky. Le travail du corps est impressionnant, car un gorille est en face de nous ! Seul en scène pendant une heure, le jeu très physique et ses mimiques simiesques le font transpirer à grosses gouttes et nous trompent l’oeil avec une facilité déconcertante.

L’auteur/adaptateur, Alejandro Jodorowsky, est plus qu’un scénariste de bandes-dessinées (L’incal, le Bouncer…), il est aussi réalisateur, acteur, mime, romancier, poète et dramaturge (L’Ecole des Ventriloques, Les Trois Vieilles). Il adapte Rapport pour une Académie de Kafka en italien en 2008, puis en français en avril 2009 et enfin en anglais en novembre 2009.

Pour lui, Le Gorille suggère que la vraie liberté se trouve ailleurs que dans un modèle de réussite sociale. Il voit, dans cette œuvre de Kafka, le gorille comme « une victime absolue ». Il ne lui donne pas la prise de conscience que « le bonheur consiste à être ce que l’on est et non ce que les autres nous imposent d’être ». Partant de  l’esprit archaïque du primate, A. Jodorowsky a amené son « Gorille » à aller jusqu’à un éveil conscient accompli, c’est à dire « conscient de l’inutilité de tout ce paraître qui nous éloigne de l’authenticité« .

Pari réussi puisque le texte, porté brillamment par son fils, nous invite très simplement et en démonstration à reconsidérer notre société, qui nous paraît si normale, à nous autres nés humains. Dans cette pièce, pas de gratuité, tout s’illustre et nous suivons naturellement le gorille dans son évolution de pensée.

Toutefois, de larges tapisseries représentant les figures des grands de ce monde (on reconnaît parmi eux Darwin) ornent la scène et écrasent le comédien en étouffant le jeu. Peut-être s’adresse-t-il à eux, après tout ! Une scène plus large aurait certainement rendu ces figures emblématiques moins gênantes…

Quoi qu’il en soit, il est malheureusement trop facile de dépeindre une société et d’en décrire l’inutilité quand on la compare au monde animal. Cette vision un peu naïve de notre civilisation nous attendrit malgré tout, et ce discours à la fois saisissant et burlesque nous emporte dans l’exposé de l’histoire de cet homme – gorille hors du commun.

Le Gorille
Auteur
: Alejandro Jodorowsky, d’après Franz Kafka
Texte français : Brontis Jodorowsky
Mise en scène, scénographie, musique : Alejandro Jodorowsky
Avec : Brontis Jodorowsky
Assistante à la mise en scène : Nina Savary
Lumières : Arnaud Jung
Costume : Elisabeth de Sauverzac
Prothèse : Sylvie Vanhelle

Du 29 septembre au 27 novembre 2010
au
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75 006 Paris
www.lucernaire.fr

Et du 12 avril au 26 juin 2011
au
Théâtre du Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté, 75 014 Paris – Réservations 01 43 22 77 74
www.petitmontparnasse.com

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