Critique d’Anne-Marie Watelet –
Un roman, une pièce, deux univers voisins, deux écritures différentes.
Hrabal est tchécoslovaque et Copi est argentin, contemporains du milieu du vingtième siècle. On écoute d’abord la voix de Hanta (« le don Quichotte de l’infini et de l’éternité ») qui fait entendre mille voix du fond de sa cave : « 35 ans que j’écrase du papier, voilà ma love story ». Recycleur de vieux papiers et livres, qu’il broie avec sa presse, il glane des pensées d’auteurs morts et évoque avec passion les êtres qu’il a aimés. Puis nous voilà au pays inca où s’agitent une reine aveugle, la princesse sa fille et un jésuite, dans une relation cannibale. Un rat survient, le bibliothécaire de Buenos Aires, suscitant tous les appétits : qui va manger qui ?
© François-Louis Athénas
Deux mondes clos troués de lueurs foisonnantes.
Hanta n’est pas un rat mais y ressemble, il aime sa cave et comme le rat de La Pyramide, il est instruit – malgré lui, dit-il, l’homme de l’ombre, l’ouvrier des déchets. Car il ressuscite des génies de la pensée grecque, les suicidés Socrate et Sénèque ; de même un monde oublié surgit de la pyramide : reines et princesses issues d’un passé mythique. Ces voix s’élèvent de l’obscurité, avec des mots simples mais puissants ainsi que dans des échanges comiques dans la deuxième pièce.
Deux textes enclins à la résistance.
Hrabal et Copi ont tous deux vécu la dictature et leur œuvre s’en ressent. Ici, chacun à sa manière glisse les images de la sensualité et du plaisir. Hanta se délecte avec jouissance dans la lecture, et la reine et sa fille sont insatiables dans leur désir obsessionnel de manger, et de toucher le rat. C’est une manière de dire non à l’oppression, invisibles qu’ils sont dans leur antre mais lumineux dans leur esprit. Dire non également au conditionnement, à l’ennui du labeur de toute une vie.
© François-Louis Athénas
Un jeu et une mise en scène éblouissants.
Hanta c’est Thierry Gibault. Il magnifie le texte réaliste mêlé de poésie issue des forces souterraines. Une grande présence corporelle, les yeux écarquillés, il captive avec sa voix d’une intensité lyrique parfois, nuancé dans son phrasé. Quant à la fantaisie surréaliste des dialogues dans La pyramide, elle est servie admirablement par les mimiques d’Elizabeth Macocco, les pirouettes de Nine de Montal, et le grave Elya Birman, le rat. La scénographie. Le visage de Hanta seul est éclairé, puis l’obscurité fait place à une blancheur aveuglante. D’autre part, une douce lumière règne dans la pyramide. La princesse domine la scène sur un trapèze durant un long moment. L’accompagnement sonore est sensible aux textes : bruits de la presse, musique sombre sortie de l’antre ; et le tango entraîne la reine et le rat dans un tourbillon sensuel. Laurent Fréchuret et ses assistants ont fait, une fois de plus, un travail remarquable pour la Scène Nationale de Sartrouville. Ce spectacle dont les textes regorgent d’imagination dans les mots et les images, est une création qu’il faut aller voir, tant pour son engagement que pour le plaisir partagé.
Le Diptyque du Rat
« Une trop bruyante solitude » de Bohumil Hrabal
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Assistant à la mise en scène : Elya Birman
Traduction : Anne-Marie Ducreux-Palenicek
Scénographie : Stéphanie Mathieu
Costumes : Claire Risterucci
Son : François Chabrier
Maquillage et coiffures : Françoise Chaumayrac
Avec : Thierry GibaultLa Pyramide de Copi
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Assistant à la mise en scène : Philippe Baronnet
Collaboration artistique : Dorothée Zumstein
Scénographie : Stéphanie Mathieu
Costumes : Claire Risterucci
Son : François Chabrier
Lumière : Olivier Sand
Tango : Jorge Rodriguez
Maquillage et coiffures : Françoise Chaumayrac
Avec : Philippe Baronnet, Elya Birman, Elizabeth Macocco, Nine de Montal, Rémi RauzierDu 30 septembre au 23 octobre 2010
Théâtre de Sartrouville
Place Jacques Brel, 78 500 Sartrouville
www.theatre-sartrouville.com