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Le Dépeupleur, texte de Samuel Beckett, mise en scène de Alain Françon, Théâtre Les Déchargeurs

Sep 16, 2016 | Commentaires fermés sur Le Dépeupleur, texte de Samuel Beckett, mise en scène de Alain Françon, Théâtre Les Déchargeurs

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© iFou pour LePôlemedia1

C’est un peuple, petit peuple, de « chercheurs » qui (sur)vit au fond d' »un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l’harmonie ». Un cylindre sans issue, ou ignorée, ou possible, contre lequel sont posées des échelles, tout en haut sont des niches, un cylindre clôt d’un plafond. Il y a là des « grimpeurs », des « vaincus », des « sédentaires ». C’est un texte de Beckett, énigmatique, étrange. Pas forcément le plus connu. Il fallait donc bien que Serge Merlin s’y penche. Une évidence. Ce n’est pas la première fois qu’il traverse ce texte. C’est un long compagnonnage. Il nous offre là quelque chose d’inouï. La quintessence de l’incarnation. Il ne dit pas ce texte, il le vit, il en devient l’écriture incarnée. Incroyable représentation sur un fil tendu, raide. Serge Merlin, en vieil auguste scientifique, conférencier habité de son sujet, nous offre un grand moment, rare, d’interprétation. Et plus encore. Voix, corps, tout est service de l’auteur et de la langue. Tout vibre, ponctue, module, souligne. Il n’en joue ni n’en abuse. C’est tout simplement renversant de naturel. Evidence toujours. Ce vieux fou, ce docteur à la redingote verte bien trop large, au col de chemise s’échappant, bourré de tics, ce clown beckettien en diable, de cette énigme, de ce texte étrange, hermétique, il extrait une vérité qui laisse pantois. Effet augmenté par la proximité qu’offre la petite salle des déchargeurs. La présence de Serge Merlin en devient inquiétante tant il est habité, hanté, foudroyé par ce texte, cette langue qui semble tout entier le posséder. Une langue qu’il dévoile, révèle, exprime dans toute sa complexité et sa densité, son mystère. Car ce n’est pas le sujet en lui même qui compte, ce petit peuple au destin absurde, aussi étrange soit-il, ni même ce personnage loufoque, créé avec grande justesse, mais bien la langue, la parole singulière de Beckett. Quand le silence se fait, parfois, c’est un visage halluciné et grave qui se penche vers nous. Et ces silences là, accompagnés d’un regard tourné bien au-delà de la salle, vers des gouffres insondables, ont le poids précieux d’une vie consacré à une quête. La quête de Serge Merlin qui de Beckett à Thomas Bernhard inlassablement et pour notre bonheur fouaille les arcanes d’une langue pour en extraire toute la charge d’humanité, toute sa vérité. Alain Françon le connait bien qui l’accompagne ici. Sa mise en scène a le don généreux de s’oublier pour s’offrir tout entière à ce comédien absolu. Magnifique complémentarité faite de confiance. Nous sortons de la petite salle des déchargeurs estomaqués, certains d’avoir vécu un moment plus que rare, d’avoir tutoyé dans la plus grande intimité ce que le théâtre peut offrir de plus pur, une vérité et un engagement absolu au service de la langue et d’un auteur.

Le Dépeupleur de Samuel Beckett
Un spectacle conçu par Alain Françon, Jacques Gabel, et Joël Hourbeigt
Mise en scène de Alain Françon
Scénographie et costumes Jacques Gabel
Lumières Joël Hourbeigt
Avec Serge Merlin

Théâtre Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris

du 12 septembre au 1er octobre
du lundi au samedi à 21h30
du 3 octobre au 19 décembre, les lundis à 21h30

Théâtre des Halles
11 et 12 novembre à 20h.
Réservations 01 42 36 00 50
www.lesdechargeurs.fr

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