Critique de Dashiell Donello –
Un moment théâtral bouleversant.
Dès l’entrée le public est confronté au comédien. Il n’est pas dans sa loge, mais à terre. On doit enjamber son corps. « Le théâtre vit à travers le corps de l’acteur », nous dit le metteur en scène Dieudonné Niangouna et il tient sa promesse.
Dans la salle, la scène est plantée de cinq portes esquissées par des cadres nus. Au sol des plaques entremêlées forment un puzzle sans image. Est-ce pour figurer l’oubli ? C’est une nuit d’ivresse. Un jeune homme se retrouve en prison, ne comprenant pas pourquoi il est là. Il est né au Congo, mais vit à la périphérie parisienne d’un quartier pauvre. La voix de l’ancêtre, celle d’une Afrique magnifiée, prend le relais : « Marche comme un seigneur parmi les autres, pense constamment au sens de tes actes, tout pas résonne, les tiens étonnent ! Prends garde à ton port de tête, surtout quand la vie fait mal au corps ou au cœur. »
Moi aussi, je veux du bleu dans ma vie
Le jeune homme porte sa prison à bras-le-corps comme un Atlas condamné. Il nous apostrophe, nous montre du doigt, nous gronde, brame, crie : « T’es qui ? Tu viens d’où ? C’est comment ton pays ? Quelle est ta culture ? Pourquoi tu l’as frappé ? Des questions, toujours des questions. »
Il a trop fumé et trop bu. Est-ce parce que Mireille est partie ? « C’est drôle, hier cette distance entre elle et moi, tout juste quelques pas, les barreaux d’aujourd’hui entre le capitaine et mes quartiers d’infortune, les uniformes et ma détresse. Une phrase qui aurait plu à Mireille… »
Est-ce parce que Drissa, son pote, a aussi des problèmes ? « Eh, Drissa, tu aurais dû avoir une institutrice comme la mienne, elle prenait mon cahier puis me demandait de rester à quelques pas d’elle, ne m’en veux pas petit, mais cette odeur, tu comprends, je ne suis pas habituée. »
Il est désœuvré, paumé et entre deux continents. L’Europe pleine de “promesses” et l’Afrique rêvée où il puise son espérance dans la sagesse ancestrale de son pays : « (…) Quand tu tombes, tu te relèves ! Le monde t’appartient ! Tu es un révolutionnaire ! Il s’agit de devenir ce que nous fûmes » La brousse, la jungle, les léopards, le rassurent. Les questions du capitaine l’embarrassent. Est-il un assassin ? Il fouille dans sa tête. Un nom vient hanter son esprit : Pascal F., agent de police. Il pisse sa frustration. Il soliloque : « Moi aussi, je veux du bleu dans ma vie ».
C’est bien avec le cœur que les frères Niangouna nous donnent un théâtre sensoriel, où le corps vit le texte et l’affectif transpire, à fleur de peau, ce magnifique monologue adapté du roman de Wilfried N’Sondé. « Le mental du protagoniste est par essence le lieu propre de la scénographie » nous dit Dieudonné Niangouna. Son travail de mise en scène est une longue respiration qui met le corps et la voix en action. Elle est pure, simple et limpide. Sa direction d’acteur mène son frère Criss au point culminant du jeu, du risque, de la chute. Comme il le dit si poétiquement : « l’acteur s’allume et s’éteint sans se mourir ». Criss Niangouna est un acteur sain, généreux et joue sa partition avec brio.
Un trio épatant
Le trio, Dieudonné Niangouna, Criss Niangouna et Wilfried N’Sondé sont une accumulation de talents. Le premier, Dieudonné, est à la fois auteur (sa dernière pièce « Les Inepties volante » est une pure merveille), comédien et metteur en scène. Il pratique le théâtre depuis 1990 en période de guerre civiles dans la république du Congo. Dans le cadre du festival d’Avignon 2009, il crée et interprète sa pièce « Les Inepties volantes ». De nombreux metteurs en scène portent également ses textes à la scène. Le second, Criss, est comédien. Il commence le théâtre dans les années 1990 avec les compagnies de Brazzaville : Salaka, Deso et le théâtre d’art africain. En 1977 il co-fonde, avec son frère Dieudonné, la compagnie Les Bruits de la Rue à Brazzaville. Et le dernier, Wilfried N’Sondé, est un auteur et musicien reconnu. « Le cœur des enfants léopards » est le titre de son premier livre. Il a obtenu de nombreux prix et notamment celui des Cinq continents de la francophonie et le prix Senghor 2007.
Alors tous au Tarmac ! Pour s’émouvoir et voir « Le cœur des enfants léopards ».
Le Cœur des Enfants Léopards
D’après : Wilfried N’Sondé (Ed. Actes Sud, 2007)
Adaptation : Dieudonné Niangouna et Criss Niangouna
Mise en scène : Dieudonné Niangouna
Interprétation : Criss Niangouna
Création lumière : Laurent VergnaudDu 1er au 19 mars 2011
Tarmac de la Villette
211 avenue Jean Jaurès, 75 019 Paris
www.letarmac.frReprise les 31 mars, 1er et 2 avril 2011
Espace 1789
2,4 rue Alexandre Bachelet, 93 400 Saint-Ouen – Réservations 01 40 11 50 23
www.espace-1789.com