Critiques // « Le Cirque » d’après C.F. Ramuz par Sylvie Jobert au Lucernaire

« Le Cirque » d’après C.F. Ramuz par Sylvie Jobert au Lucernaire

Jan 31, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Cirque » d’après C.F. Ramuz par Sylvie Jobert au Lucernaire

Critique de Bruno Deslot

Surpris par la lumière

Le cirque arrive dans une petite ville, éclairant les regards, suscitant la curiosité, récréant une communauté de spectateurs attentifs à cet événement.

Surpris par la lumière d’un cirque faisant son entrée dans la ville, les habitants assistent, candides, à l’installation d’un chapiteau de fortune. Fil suspendu entre ciel et terre, retenant prisonnière l’équilibriste, lève les regards curieux vers l’indicible, l’insaisissable magie de l’éphémère. Des lumières, discrètes et colorées, s’échappent du cercle clos de l’inattendu, circonscrit par les limites du spectacle artisanal et itinérant. Réunissant les habitants de la ville le temps d’un soir, le cirque les invitent à basculer dans l’incroyable aventure de l’émotion vive et poétique de l’enfance. La candeur et l’innocence des comportements, accompagnent cette manifestation nocturne vers toujours plus d’étonnement, vers une forme de régression fédératrice nouant les coeurs avec le fil fragile de la sensibilité.

Un univers poétique

S’inspirant de la nouvelle de Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1945), Le cirque, Sylvie Jobert recrée l’univers magique du spectacle vivant, à la lumière d’une langue exigeante et poétique. Ecrivain suisse d’expression française, pour Claudel, Ramuz était « l’homme du Léman, l’habitant, le témoin et l’exposant de ce territoire clos où les convulsions de la nature se concertent pour laisser place à la conscience ». Céline appréciait tout autant l’auteur pour l’authenticité de la langue et l’originalité de son écriture. Souvent réduite à sa dimension régionaliste, l’oeuvre de Ramuz a des qualités propres qui selon le mot de Stefan Zweig, a le don de rendre « la simplicité sublime et le sublime simple ». Sylvie Jobert, s’approprie cette apparente simplicité du sublime, pour restituer la magie de la représentation auquel assistent les spectateurs à qui elle raconte cette histoire. Son adaptation semble toutefois manquer de cohérence dans la construction narrative de la partition. Elle enchaîne une succession de tableaux d’un réalisme poignant, qui trahit cependant des manques, comme la superposition de deux niveaux de langage, qui aurait sans doute permis à la comédienne, de ne pas noyer son auditoire dans une littérature fleuve, manquant, du coup, de théâtralité. Cependant, Sylvie Jobert rapporte ici un joli conte que les enfants pourraient très bien entendre, tant la comédienne s’applique à respecter les codes d’une gestuelle illustrant son propos.

Un plateau plongé dans une semi-obscurité, dessine les contours d’une malle géante, plantée au milieu de la scène, s’ouvrant progressivement pour laisser s’échapper les lumières magiques du spectacle éphémère auquel les habitants de la ville assisteront. Une petite robe rouge, constellée de loupiotes, parcourt le chemin magique de la fête, pendant que les autres se regroupent pour assister, émerveillés, aux débuts de Miss Anabella, funambule venue exercer ses talents ce soir, au cirque. Quelques phrases d’une chanson allemande, les notes nostalgiques d’un accordéon caressé par les mains habiles de l’artiste, et voilà que le chapiteau existe à la lumière douce et touchante d’une bougie éclairant l’espace clos de la représentation. La comédienne échafaude les fondations d’un décor de guingois, renouant avec la dimension réaliste du texte de Ramuz. Un jeu de fléchettes, illuminé par un éclairage de foire, anime des visages masqués et colorés, qu’une langue tirée vers le bas, caricature. Sylvie Jobert touchante et sincère dans sa manière de raconter cette belle aventure, se permet des incursions du côté du comique, qui insufflent un peu de légèreté dans sa composition se voulant si proche des mots de l’auteur, et peut être trop. Une belle fable, mêlant la magie des mots au simulacre du spectacle, touche les coeurs et la tristesse de l’âme avec simplicité.

Le Cirque
D’après : Charles-Ferdinand Ramuz
Conception et interprétation : Sylvie Jobert
Collaboration : Dominique Laidet
Lumières : Karim Houari
Accompagnement : Pascale Henry

Du 20 janvier au 20 février 2010

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75 006 Paris
www.lucernaire.fr

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