Critiques // « Le Cerceau » de Slavkine au Théâtre de la Tempête

« Le Cerceau » de Slavkine au Théâtre de la Tempête

Jan 15, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Cerceau » de Slavkine au Théâtre de la Tempête

Critique de Dashiell Donello

Laurent Gutmann nous convie au souvenir épistolaire d’un passé que le présent ne peut dissoudre dans une mise en scène douce-amère

Le vrombissement d’une voiture nous signale le début de la pièce de Victor Slavkine, né à Moscou en 1935. Des coups de hache déchirent nos tympans. Une porte éclate. Dans l’obscurité, un homme, la hache à la main, reste figé par l’effort qu’il vient de fournir. C’est par cette action sensorielle et spectaculaire que nous entrons dans une maison de campagne soustraite à la vie depuis des lustres. On distingue des vieux meubles recouverts de housses. La vacuité du lieu cesse avec l’irruption de plusieurs individus.  Il y a l’ingénieur Pétouchok qui a hérité d’une datcha. Sa voisine de vide ordure. Un historien amateur qui capitonne des portes. Un suédois ou autre chose, on ne sait pas bien. Une jeune fille de 26 ans et l’ex amante de Pétouchok. C’est un anniversaire, et une question récurrente obsède Pétouchok : « Pourquoi j’ai quarante ans et je fais jeune ? ». Ils travaillent ensemble et ensemble, ils se reposent. Ils veulent vivre ensemble et non mourir ensemble. C’est l’instant qui prime et non le destin. Ils vont passer une semaine et un jour à la campagne et se narrer leurs lambeaux de vie. Partager leur solitude. Déchirer la photo qui n’a jamais existé.

© Pierre Grosbois

Que faire de cette maison ? Un lieu de villégiature pour une communauté d’amis ? Servir l’utopie ? Lutter contre la solitude ? Se remémorer le passé ? Avant toute chose, réaménager le lieu. Dresser une table. Mettre de la lumière. Fouiller dans les vieux meubles. Exhumer d’un tiroir les lettres de la grand-mère de Pétouchok quand elle écrivait à son amant, qui apparaît sous la forme d’un grand-père comme par enchantement dans cette maison qui était sienne autrefois.

Elu par cette crapule, cela se lit dans les deux sens.

La pièce de Victor Slavkine a été écrite en 1985 avant que n’apparaisse la Perestroïka. On ne peut s’empêcher de penser à la société stalinienne et aux métaphores de l’histoire des ces femmes et de ces hommes pris dans la lise soviétique. Aux traces indélébiles laissées dans leurs esprits avec la nostalgie au coin de la lèvre et la révolte dans le cœur. Ils ont été démystifiés par l’histoire de leur patrie. Ils sont passés de la révolution bolchevique à la fin du communisme en URSS (1991), pour arriver à la démocratie avec l’élection d’un Président (2000). L’histoire leur a écrit une destinée qui les rapproche, mais qui ne laisse pas l’illusion d’un recommencement à jamais perdu.  Valioucha  nous parle de son époux au regard vide, à l’esprit vide. Elle n’est plus le sujet des pulsions d’un mari qui l’a délaissé. Elle voudrait être aimée. Son couple est sans histoire et cela aurait pu durer trente ans.  Jusqu’au jour où une jeune servante ranime la flamme du mari. Est-ce l’histoire de la Russie que Slavkine nous raconte derrière ses personnages ?

© Pierre Grosbois

« Le Cerceau » est une pièce difficile, avec peu d’action, sa situation est flottante ce qui lui donne parfois de la lourdeur et des moments qui pèsent. Mais n’est-ce pas le fait d’une culture soviétique trop bien dessiné par son auteur ? Et le palindrome de la pièce : élu par cette crapule. N’est-il pas parlant ?

Laurent Gutmann a su donner des sons et des images qui se lisent dans les deux sens, du réel à la fiction. Son théâtre d’ombre est une allégorie qui chante dans le supplice d’une vie de propagande sans lumière. Caché derrière un rêve utopique, l’être est seul comme un dogme, une loi. Tout cela est bien joué par des comédiens qui s’amusent sur scène. Daniel Laloux en grand-père digne, Jade Collinet en jeune fille fraîche, Eric Petitjean en héritier partageur, ainsi que Bruno Forget, Marie-Christine Orry, François Raffenaud et Richard Sammut bien dans leur personnage.

Le Cerceau
De : Victor Slavkine
Texte français : Simone Sentz-Michel (Éd. Actes Sud-papiers)
Mise en scène : Laurent Gutmann
Avec : Jade Collinet, Bruno Forget, Daniel Laloux, Marie-Christine Orry, Éric Petitjean, François Raffenaud, Richard Sammut
Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy et Laurent Gutmann
Costumes : Axel Aust assisté de Camille Penager
Lumières : Marie-Christine Soma
Son : Madame Miniature
Musique : Ivan Gruselle
Perruques, maquillage : Catherine Saint-Sever
Collaboration artistique : Anne-Margrit Leclerc

Du 13 janvier au 13 février 2011

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre, 75 012 Paris

www.la-tempete.fr

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