Critiques // « Le Centaure et l’Animal », Ko Morobushi et Bartabas à Chaillot

« Le Centaure et l’Animal », Ko Morobushi et Bartabas à Chaillot

Déc 10, 2010 | Un commentaire sur « Le Centaure et l’Animal », Ko Morobushi et Bartabas à Chaillot

Critique de Denis Sanglard

Animalité et métamorphose

Il est des moments extrêmement rare où le temps est suspendu, où soudainement quelque chose de ténu, d’impalpable vous traverse et vous bouleverse. La rencontre entre Bartabas et Ko Morobushi tient de ce miracle, de cet instant inouï et précieux. Ko Morobushi est un des grand maître du butô, héritier de Tatsumi Hijikata et de Kazuo Ohno, les fondateurs de cette danse japonaise contemporaine. Les premiers manifestes de cette danse s’inspiraient de Genêt, Bataille, Artaud et Lautréamont. Lautréamont justement qui sert ici de fil rouge, de point de rencontre entre l’art de Bartabas et de Ko Morubushi. Les chants de Maldoror rythment ce duo, dit en voix off par Jean-Luc Debatisse. C’est une langue musicale qui fait sens, où il est question de métamorphose, de rêve et d’animalité.

© Nabil Boutros

Cette animalité est une des grandes composantes de la danse butô. « Un cheval et ange forment un même corps, voilà ce qu’on ne voit pas souvent. Je reconnais la forme de l’animal; je reconnais la forme de l’ange; mais je ne peux le scinder dans mon esprit; en effet dans mon esprit elles sont collées l’une dans l’autre, et ne forment qu’un corps indépendant et libre. » (1) Quatre chevaux accompagnent ce duo exceptionnel. Quatre danseurs butô, voilà le miracle de Bartabas ! À l’image de Ko Morobushi, ces chevaux sont en présence, cette présence particulière, propre au danseur butô, toute en énergie concentrée et intérieure. Cette présence immobile, en attente, qui est danse et dont le moindre tressaillement prend une ampleur insoupçonnée. Le rythme même en est bouleversé. Il faut accepter cette lenteur, cette épure et la répétition lancinante et volontaire d’images. Comme ce cheval chutant au ralenti, décomposant son mouvement, tandis que Ko Morobushi, explosant le sien, ne cesse de vouloir se relever.

Renversement

« Le Cheval et le Centaure » opère un renversement. L’homme et le cheval échangent leurs identités. Seul le butô pouvait opérer ce miracle. « C’est devenir l’autre et non le représenter, une métamorphose non une métaphore. » (2) Les chevaux et les cavaliers deviennent des êtres hybrides où l’homme et l’animal ne font déjà plus qu’un. Ko Morobushi, toujours à distance de l’animal, l’incarne  dans son essence. Ce qu’il fait ressortir est le principe mécanique, la puissance de la marche de l’animal. Cela reste dans l’abstraction mais l’énergie du cheval est là, présente, frémissante. Ko Morobushi passe constamment, non sans douleur, de l’humanité à l’animalité, cheval et cavalier. Toujours au premier plan, baigné de lumière, tandis qu’au second, noyés d’ombres, glissent lentement et disparaissent les chevaux comme des cavaliers de l’apocalypse.

© Nabil Boutros

Cavaliers aux ailes déployés, bombyx monstrueux ou Pégase sombre, attirés par le ciel tandis que Ko Morobushi nu rampe, marche à quatre patte et reste toujours à la frontière, un entre-deux propre au butô. Les images sont impressionnantes d’énergie contenue, de tension.  Il n’y a rien de spectaculaire, de démonstratif et c’est d’une beauté à couper le souffle. Bartabas a sans doute trouvé dans le butô et dans Ko Morobushi la forme rêvée de ses chimères équestres.  « Ce fut alors que je me réveillai, et que je sentis que je redevenais homme. La providence me faisait ainsi comprendre, d’une manière qui n’est pas explicable, qu’elle ne voulait pas que même en rêve, mes projets sublimes s’accomplissent. Revenir à ma forme primitive fut pour moi une douleur si grande, que, pendant les nuits, j’en pleure encore. » (3)


  1. In les Chants de Maldoror de Lautréamont
  2. In programme du TNB (Rennes) ou fut représenté Sebi de Ko Morobushi, 1995
  3. In les Chants de Maldoror de Lautréamont

Le Centaure et et l’Animal
De et avec : Ko Morobushi et Bartabas
Conception et mise en scène : Bartabas
Chorégraphie : Ko Morobushi et Bartabas
Musique : Jean Shwartz
Lumières : Françoise Michel
Scénographie : Bartabas
Texte : Lautréamont, extrait des « Chants de Maldoror »
Dits par : Jean-Luc Debatisse
Avec la participation de : Raveendran Peringaden
Les chevaux : Horizonte, Soutine, Pollock et Le Tintoret.
Assistante à la mise en scène : Anne Perron
Responsable des écuries : Françis Tabouret
Soins des chevaux : Barbara Despretz
Costumes : Yannick Laisné, Alain De Raucourt
Maquillage : Annie Marandin
Directeur technique : Hervé Vincent
Régie générale : Jean-René Trevilly
Régisseur son : Janyves Coïc
Régisseur lumière : Cécile Allegoedt

Du 7 au 23 Décembre 2010

Théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75 016 Paris – Réservations 01 53 65 30 00
theatre-chaillot.fr

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