Critiques // Critique • « Le cas de la famille Coleman » de Claudio Tolcachir au Théâtre du Rond Point

Critique • « Le cas de la famille Coleman » de Claudio Tolcachir au Théâtre du Rond Point

Oct 18, 2010 | Aucun commentaire sur Critique • « Le cas de la famille Coleman » de Claudio Tolcachir au Théâtre du Rond Point

Critique de Monique Lancri

Le cas de la famille Coleman est une pièce de l’argentin Claudio Tolchibar. Elle a été créée à Buenos Aires en 2005, dans une mise en scène de l’auteur. Avec sa compagnie Timbre 4, celui-ci est aujourd’hui à Paris, au Théâtre du Rond-Point où sa pièce est jouée en espagnol, surtitrée dans une traduction de Laetitia Scavino. Pour qui se fie à celle-ci, le titre français est on ne peut plus adapté au sujet. En effet, les spectateurs sont ici contraints de se transformer successivement en voyeurs, en psychanalystes, voire même en entomologistes pour étudier « le cas » d’une famille atypique.

© Giovanni Cittadini Cesi

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la famille Coleman ne correspond pas au « modèle » traditionnel. Ni père, ni grand-père : on ne s’embarrasse guère des hommes. Ceux-ci n’ont servi, semble-t-il, qu’à « ensemencer » les femmes. Ils sont d’ailleurs oubliés puisqu’on n’en parle jamais. Sur le plateau, les Coleman se résument à la grand-mère, à la mère et à trois enfants qui vivent en communauté dans le même appartement. Il faut leur adjoindre un quatrième enfant, Véronica, la seule à vivre à l’extérieur de leur huis-clos. Le pivot de la tribu, c’est la Mamie : il faut la voir manier le bâton avec autorité et user de son « tout petit peu d’argent » pour faire vivre son monde : une fille-mère fofolle, plus ou moins anorexique et irresponsable (quatre enfants lui sont « arrivés », dit-elle, sans le vouloir) ; un garçon alcoolique, un autre qui n’a pas grandi et qui dort encore avec sa mère ; une autre fille, déprimée au dernier degré, qui s’essaie à la couture. Que font-ils sur scène ? Ils se chamaillent, ils se tapent dessus pour d’obscures raisons. Une seule certitude : ils n’ont aucun lien avec l’extérieur. Pas d’amis, pas d’amants.

© Giovanni Cittadini Cesi

Damian : T’as quelqu’un ? – Gabi (la fille) : Personne. – Damian : Tu veux ? – Gabi : Non. – Damian : Plus jamais ? – Gabi : J’espère (…). Et toi, t’as quelqu’un ? (silence) Sans commentaire.

Nulle issue. On les dirait retenus dans ce huis-clos familial sans avoir envie d’y demeurer, sans avoir non plus envie de le quitter. Ce qu’ils formulent en des dialogues à la Beckett :

Damian : Je peux te poser une question? – Gabi : Non. (pause) D’accord. – D. : Ce sera qui ? – G. : Quoi ? – D. : Qui va partir ? – G. : Qui va partir ? De nous tous ? – D. : Ouais, bon, si tu veux, de nous tous. Qui ? – G. : Toi, évidemment. – D. : Je sais pas. – G. : Moi, j’en ai pas assez. – D. : On en a jamais assez. – G. : Je sais.

On ne peut s’empêcher de penser aussi à L’ange exterminateur. Dans ce film de Bunuel, une foule de fidèles s’avère incapable de sortir d’une cathédrale alors qu’apparemment rien ne l’empêche d’en franchir les portes, largement ouvertes. Mais chez Tolcachir, nous ne sommes ni dans le tragique, ni dans le mysticisme (avec parfois, toutefois, un zeste d’absurde à la Ionesco, une pointe d’humour noir à la Kafka). Car l’écrivain-metteur en scène a délibérément opté pour le réalisme : dans le décor, dans les costumes, dans le jeu des acteurs. Un réalisme un peu sordide et surtout minimaliste puisque ce décor ne tient qu’aux objets qui occupent la scène : un canapé, des chaises, une table pour commencer, un lit d’hôpital, pour finir ; l’éclairage suffit à préciser les lieux.

© Giovanni Cittadini Cesi

« …Je te dis que c’est un enfer de vivre dans cette maison. »

Ainsi s’exprime Néné, la mère, parlant à Véronica, sa fille aînée venue voir sa grand-mère mourante à l’hôpital. Véronica est la seule qui ait échappé à l’enfer de l’enfermement familial, enlevée dès l’âge de un an par son père. Mariée, mère de deux enfants, fortunée, elle vit « normalement » et ne supporte guère l’idée de mêler ses enfants à cette tribu dont elle finit par avouer qu’elle a honte. Et pourtant, sa grand-mère décédée, elle se verra forcée de recueillir sa dingue de mère, tandis que Gabi, sa sœur déprimée, va suivre sans enthousiasme son chauffeur. Son frère Damian, quant à lui, a disparu. Dans la maison vide ne reste que Marito, son autre frère, débile et gravement malade. Que fait-il ? « Il attend ». Faut-il aller jusqu’à supposer que la pièce se déploie dans le voisinage de En attendant Godot ?

Jouée avec vigueur par d’excellents acteurs, cette comédie (car c’est là sans doute l’étiquette qui convient le mieux à la pièce), cette comédie fait beaucoup rire, d’un rire qui ne laisse, au final, qu’un goût amer. Car où situer ici l’amour maternel ? Et où l’amour tout court ? On peut passer toute une vie (ou presque) à se serrer les uns contre les autres et ne connaître, en dépit de cette trompeuse multitude, que solitude.

Le cas de la famille Coleman
Texte et mise en scène : Claudio Tolcachir
Traduit de l’argentin par : Leticia Scavino
Avec : Jorge Castano, Araceli Dvoskin, Diego Faturo, Tamara Kiper, Inda Lavalle, Miriam Odorico, Lautaro Perotti, Gonzalo Ruiz
Assistante à la mise en scène : Macarena Trigo
Lumière : Omar Possemato

Du 16 octobre au 13 novembre 2010

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue D.Franklin Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.