© Marc Domage
ƒƒ article de Denis Sanglard
Confession d’un adolescent provincial rêvant d’absolu, de pureté et couchant sur le papier, sur son cahier noir, ses fantasmes sado-masochiste, lui le puceau, « petit bourgeois hystérique », ce récit adapté pour la scène est cru, superbement obscène, d’une réjouissante méchanceté, d’un nombrilisme impudique et exalté. Olivier Py se rêvait déjà Claudel, Mallarmé ou Rimbaud. Rien de moins, rien de plus. L’écriture est monstrueuse, hyperbolique, c’est un fleuve en cru qui déborde et charrie de toute part, exercice scolaire d’admiration d’un plagiaire innocent, une écriture masturbatoire frénétique. Ecrire, se scarifier et se masturber c’est du pareil au même, l’expression d’un mal-être, d’un désir sexuel volontairement inassouvi, une volonté d’absolu, de souffrance et d’exaltation mystique pour entrer dans le vif du sujet, l’écriture et sa vie, à défaut d’y donner, d’y trouver un sens. Témoignage surtout accablant et hilarant de l’ennui provincial, Grasse années 1980 – un petit côté Madame Bovary version queer – de l’attente infernal qui vous ronge, de l’interdit attendu et la culpabilité chez un adolescent homo en pleine crise de puberté fasciné par trois hommes qu’il idéalise, se rêvant leur esclave. Tout cela voué à la désillusion, à l’échec. » (…) Quelle idiotie l’ivresse du néant, un château de cartes (…) ! » Cela pourrait être bouffi de suffisance (ce l’est un peu, on pardonne) et insupportable mais sur le plateau, Emilien Diard-Detoeuf vous embarque promptement dans cette écriture pompière, ronflante, et cet univers masturbatoire, avec une vélocité diabolique qui rend tout ça léger et drôle. Un vrai ludion dyonisiaque qui ne cesse de courir, ne tient jamais en place, tout sourire avec une ironie mordante, vacharde, vous happe par sa jubilation expiatoire et panique. Le débit est tranchant, net avec l’assurance de l’adolescent péremptoire et sur de son fait. Pour le retenir, le contenir un peu, Emmanuel Besnaud dans le rôle du souffre-douleur Lucas, croyant catholique, candide, épileptique. Une épilepsie qui ajoute à l’admiration que lui voue Olivier Py, y voyant un signe de la grâce qu’il n’atteint pas. C’est ainsi que leur dispute prend des allures pascaliennes… Et puis il y a Sylvain Lecompte interprétant les trois objets de fantasme d’Olivier Py surnommé, naïveté littéraire, conte de fée tordu, Le Prince, le Guerrier et l’Ange. Trois figures ô combien fantasmées, trois échecs programmés. Olivier Py signe une mise en scène d’une belle sobriété, d’une grande fluidité. Ce qui est en jeu là c’est l’écriture et cet univers priapique exalté. Olivier Py se garde bien d’en rajouter. Ne vous attendez pas à un spectacle obscène ou racoleur. Nous sommes dans le fantasme énoncé, jamais réalisé. On parle, de cul certes, mais point de passage à l’acte. Nous sommes dans la caboche bouillonnante de cet adolescent narcissique, graphomane fébrile et imaginatif. En témoigne les dessins remarquables, seules illustrations de ce qui sera énoncé, qui précédent l’entrée dans la salle. Sur ce plateau nu, habillé d’une toile peinte grisâtre comme l’ennui provincial, l’imagination est féconde qui occupe tout l’espace. Mais au delà, si l’on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, ce qui est fulgurant c’est combien déjà l’univers et l’écriture d’Olivier Py s’affirmaient. Plus ou moins dégraissée depuis mais avec cette même quête entre sexualité et foi. Le Cahier noir semble être la pierre angulaire de sa vocation littéraire singulière. Le découvrir sur le plateau aujourd’hui, après son édition, est une heureuse surprise.
Le Cahier noir conception, création et mise en scène Olivier Py
Adaptation théâtrale du livre éponyme du même auteur, édition Acte Sud en 2015
Avec Emilien Diard-Detoeuf, Emmanuel Besnault, Sylvain Lecomte
Création des décors Pierre-André Weitz
Régisseur-accéssoiriste Florent Gallier
Du 23 janvier au 3 février 2018 à 21h
Le 104
104 rue d’Aubervilliers
75019 Paris
Réservations 01 53 35 50 00
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