Critiques // « Le bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau au Studio-Théâtre

« Le bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau au Studio-Théâtre

Fév 12, 2010 | Aucun commentaire sur « Le bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau au Studio-Théâtre

Critique de Bruno Deslot

Une enfance dérobée

Enfants-soldats, Elikia et Joseph décident de fuir la forêt du Congo, en proie à la guerre civile.

Torturer des innocents, incendier des villages, assassiner des habitants pour une poignée de riz, voilà le quotidien d’Elikia et de Joseph qui décident de fuir la forêt des rebelles pour retourner à la vie normale. Détenus dans un camp, les deux enfants cherchent à regagner le village, loin des rapts, des viols et des chefs de bande camés ! Dès lors, dans cette forêt du Congo, en proie à la guerre civile, le paysage se dessine, Elikia et Joseph ont 13 et 8 ans, et entament une longue marche vers une liberté conditionnelle. Dans leur course haletante, les enfants n’apprécient pas d’évoquer leur vie au camp, mais libèrent, bien malgré eux, quelques paroles terrifiantes de la barbarie vécue. La peur au ventre, ils lâchent les mots de la douleur qui composent un univers de violence où les sévisses et les humiliations font frémir ! Marchant pendant des semaines entières, ils se retrouvent près du village de Joseph où ils sont accueillis par une infirmière.

Le silence de la douleur

Une mise en scène épurée pour un théâtre de l’évocation, le choix est judicieux pour porter à la scène, un texte puissant qui aborde la question délicate des enfants-soldats. Suzanne Lebeau propose un texte se situant dans une double perspective, celle de deux enfants fuyant un camp de rebelles et d’une infirmière témoignant devant une commission fantôme chargée d’un rapport. L’auteur pose ainsi les bonnes questions, à condition qu’elles soient entendues, et le spectateur met en perspective, faits et réflexion. Par l’entremise d’une parole tissée d’interruptions et de silences, le texte offre une profondeur de jeu et une mise à distance salutaires que les deux comédiens, Suliane Brahim et Benjamin Jungers, s’approprient avec une justesse étonnante. Pour restituer l’histoire poignante d’Elikia et de Jospeh, Suzanne Lebeau s’est inspirée du récit d’Amisi et Yaoudé, rencontrés à l’Espace Masala, un centre de solidarité pour les enfants-soldats, situé à Kinshasa. De cet échange sont nés les personnages fictifs du Bruit des os qui craquent, de la fuite des enfants dans la forêt, des horreurs vécues par la guerre et aussi leur grande force morale. La structure de la pièce propose un regard intérieur et extérieur : celui des enfants subissant la guerre et celui d’un adulte qui essaie de comprendre la guerre et de la raconter.

Anne-Laure Liégeois, particulièrement sensible au thème des enfants-soldats, restitue avec une sensibilité accrue, un univers de cruauté, sans compassion ni pathos, restant au plus près du texte, qui pour elle, dessine déjà une forme particulière. Réalisant une mise en scène de l’enfance massacrée, Anne-Laure Liégeois, n’en oublie pas pour autant de conserver cet esprit candide et innocent de l’enfant qui aime encore jouer, malgré tout.

Sur un plateau réduit à sa plus simple expression, deux palettes en bois, situées au centre de la scène et éclairées par une lumière directe, symbolise sans doute la clairière, l’espace de paix vers lequel les deux enfants se dirigent. Une paire de chaussures de marche à l’avant de la scène, souligne cette course éprouvante à travers une forêt hostile. A l’arrière, un robinet, d’où s’échappe un peu d’eau, remplit une bassine que les enfants utilisent comme une rivière. Tout est rudimentaire, et la scénographie pratique une économie de moyens sur la scène, tout comme le font Elikia et Joseph dans la forêt. Assise sur une chaise, Angelina (Isabelle Gardien), l’infirmière, rapporte les faits sans affects, s’appuyant sur un carnet de notes. Le silence de la douleur se fait toujours plus éloquent à mesure que les personnages progressent dans leur course, et que le témoignage de l’adulte, éclaire le chemin des enfants. Le regard espiègle et candide de Benjamin Jungers, donne toujours plus d’éclat à l’enfant de 8 ans qu’il interprète avec une grande justesse. Son corps maladroit, et parfois hésitant s’oppose à la détermination d’Elikia (Suliane Brahim) qui ouvre la marche dans un chaos bruyant et forcené. Toujours dans la retenue, elle brise le tabou de la violence subie par une volonté affirmée de quitter l’ombre pour la lumière.

Une distribution d’une grande qualité pour un texte qui a retenu toute l’attention du bureau des lecteurs de la Comédie-Française.

Le bruit des os qui craquent
De : Suzanne Lebeau
Mise en scène et scénographie : Anne-Laure Liégeois
Avec : Isabelle Gardien, Benjamin Jungers, Suliane Brahim et Gilles David
Lumières : Marion Hewlett
Réalisation sonore : François Leymarie

Du 11 au 21 février 2010

Studio-Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, 75 001 Paris
www.comedie-francaise.fr

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