ƒƒ article de Denis sanglard
© Pierre Volot
Devant la saturation d’images qui envahit notre quotidien, ce flot ininterrompu submergeant les médias, télévision, internet, journaux et magazine, devant donc cette intrusion de l’information mis en scène sans plus aucun recul, devant notre impuissance à canaliser ce flux, à réagir, à interagir, le collectif « l’avantage du doute » a décidé de répondre à sa manière. En s’interrogeant avec malice sur notre rapport à l’image, ce paradoxe, ce dilemme entre répulsion et fascination pour un support médiatique qui participe à la fois de notre impuissance devant cette médiatisation à outrance et de notre construction, sociale ou intime. Le rôle de l’image, son versant politique au risque de la manipulation, son versant poétique au risque de la liberté. Les conséquences désastreuses de cet envahissement. C’est aussi notre incapacité à nous représenter, notre dissolution devant la puissance « magique » de l’image projetée.
Devant toutes ces ambigüités soulevées, et dans le louable souci de se confronter à ces questions, notre collectif décide donc de se glisser dans la peau de journalistes et de créer son propre média, sa propre chaine de télévision, « Ethique-TV ». De transformer le plateau du théâtre en studio. Une aventure qui n’est pas sans rappeler, non sans ironie, le début des radio-libres. Nos journalistes en herbe refusant toutes compromissions financières, tous sujets sensationnalistes, se débattent comme ils peuvent entre leurs 60 voyants, leur vocable éthique pour téléspectateurs, et une indépendance coûteuse mais elle aussi éthique. Cela fleure bon l’amateurisme que tempère un bel enthousiasme. Enthousiasme qui n’évite pas les coups de gueule. Chacun devant se battre en salle de rédaction pour imposer son sujet éthique en évitant soigneusement toutes compromissions. Un rapport à l’image également catastrophique pour couronner le tout, une gaucherie naturelle mais éthique confondante. Délicate balance donc… qui implose bientôt avec l’arrivée d’une consultante, fille de leur principale mécène, balayant bientôt toute cette idéologie, cette déontologie fragile dans une volonté farouche de faire enfin de l’audimat sans compromission là non plus. Enfin presque. Chacun est renvoyé à ses contradictions, ce dilemme qui nous fait osciller entre le compromis et son refus. Et quand l’amour s’en mêle…
« L’avantage du doute », ils sont cinq, s’en donne à cœur joie dans la satire, bien vue, de notre société du spectacle. Sur ce plateau d’enregistrement minable et non chauffé, fait de bric et de broc, mais éthique, pêle-mêle sont abordés et sabordés notre rapport à l’image, certes, mais surtout notre capacité à résister devant les compromissions. L’engagement politique, l’utopie des lendemains qui déchantent, le refus d’une société médiatique où l’information et le divertissement ne font plus qu’un dans une mise en scène obscène quotidienne sont très vite et avec beaucoup d’humour ébranlés devant l’audimat qui s’emballe devant le nouvel habillage proposé. C’est une vision au vitriol mais qui évite le discours asséné pour un jeu de massacre plus ou moins feutré où l’intime et le collectif étroitement imbriqués se répondent. Hilarantes conférences de rédaction où les cheveux sont coupés en quatre et plus encore, qui dessinent un portrait en creux de chacun d’entre eux et révèlent leur fragilité devant un système qu’ils combattent. Système soumit brutalement à l’audimat imposant jusqu’aux tenues des journalistes et la mise en scène de l’information politique comme un vulgaire et obscène fait divers. Et puis il y a des intermèdes poétiques qui les voient traverser un petit pont rouge pour atteindre une vérité insoupçonnée, l’envers d’un discours officiel où « viennent à eux les fantômes ». Pur moment de grande solitude où les images révèlent leur vérité. C’est parfois un peu long, c’est vrai, particulièrement cette histoire d’amour qui s’imbrique, plus soap-opera dans son propos et les clichés véhiculés, sans doute volontaire, mais cette vision particulièrement aigüe et acérée d’une société soumise aux médias et broyant les idéaux est particulièrement pertinente. Et puis cette façon de jouer, cette adresse directe au public entre confession, révélations et incises de citations littéraires, cultivant l’ambigüité entre le personnage et l’acteur, évitant toute distanciation fait de cette création plus une performance, une expérimentation en direct avec le public pour témoin, inclus dans le processus en cours. C’est un drôle de truc en somme, oscillant entre réalisme et sa dénonciation, qui contourne son objet et son discours pour mieux le cerner et le dénoncer. Une immersion réussie, drôle et assez intelligente pour ne pas tomber dans les pièges d’une dénonciation univoque. Parce que les utopies sont encore possibles, même si les rêves sont élimés et le présent désastreux à l’image de Simon. Bref, une création éthique et authentique.
Le bruit court que nous ne sommes plus en direct spectacle de et avec « L’avantage du doute »
Avec Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas, Nadir Legrand
Technique Wilfried Gourdin
Vidéo Thomas Rathier et Kristelle Paré
Costumes et accessoires Elisabeth Cerqueira et Elsa Dray-FargesDu 7 au 16 janvier 2016 à 20h
Du 18 janvier au 29 janvier à 21h
Relâche les dimanchesThéâtre de la Bastille
75, rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
www.theâtre-bastille.com
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