Critiques // « L’Art d’être Grand-père » de Georges et Victor Hugo au Lucernaire

« L’Art d’être Grand-père » de Georges et Victor Hugo au Lucernaire

Mar 11, 2011 | Un commentaire sur « L’Art d’être Grand-père » de Georges et Victor Hugo au Lucernaire

Critique d’Evariste Lago

« Et s’il n’en reste qu’un je serais celui-là » (in « Ultima »)

« Pas papa » Hugo

En 1871, Victor Hugo perd son deuxième fils, Charles, d’une apoplexie à Bordeaux. Il écrivit froidement le soir même du décès : « À six heures et demi, je suis allé au restaurant Lanta. MM. Bouvier, Mourot et Casse arrivent. Puis Alice, Charles se fait attendre. – Sept heures du soir. Charles est mort » (in « Choses vues ») Hugo savait être plus poétique mais c’est probablement l’habitude de voir ses enfants mourir qui l’anesthésie. En effet, Hugo a eu le malheur d’assister à la mort de quatre enfants sur cinq (Léopold, Léopoldine, Charles et François-Victor) entre 1823 et 1873. On comprend mieux pourquoi ses petits-enfants Georges et Jeanne, enfants du défunt Charles, lui inspirèrent cet art d’être grand-père, recueil de poèmes publié en 1877.

Dans cet ouvrage poétique, Hugo raconte son amour et sa complicité avec ses petits-enfants mais aussi son rôle de « pas papa » entendons donc papy et celui de père. Hugo n’est pas « l’archétype du grand père contemporain » mais un vieil homme que l’existence a meurtri, qui connaît le prix de la vie et qui se sent désespérément seul. Ce grand père gâteau mais pas encore gâteux joue les comparses et les compagnons de ses jolies têtes blondes à qui il ne peut rien refuser. Il se transforme à volonté en conteur, explorateur, ami et gardien.

En 1902, Georges, le petit-fils devenu grand, publie ses souvenirs d’enfant dans un recueil intitulé « Mon grand-père ». Il fait revivre ce monstre sacré et nous fait découvrir un homme attentionné, drôle, farceur et profondément humain. Hugo n’est pas pour lui l’instigateur du conflit esthétique de la bataille d’Hernani mais juste son grand-père, voire son père.

Double jeu

Vincent Colin, le metteur-en-scène, a fait appel à deux comédiens, Albert Delpy et Héloïse Godet, pour interpréter Hugo et sa petite fille Jeanne. Il a également choisit de faire un montage de plusieurs textes : « L’art d’être grand-père », « La légende des Siècles », « L’homme qui rit », une lettre de Hugo à Juliette Drouet, sa maîtresse pendant cinquante ans, ainsi que « Mon grand-père », pour parler des liens familiaux. Enfin, son dernier parti pris a été d’utiliser les merveilleuses compétences musicales d’Héloïse Godet en guise d’intermèdes. Le piano structure le patchwork des textes poétiques et donnent un effet cinématographique à l’ensemble. Effet accentué par l’utilisation des ombres chinoises et de la projection de dessins de Hugo montrant un univers propre et méconnu du personnage. Hugo peignait, caricaturait et dessinait pour croquer le monde hideux des adultes. La langue poétique de Hugo, difficile à faire passer à un public de non initié, est admirablement bien digérée par les comédiens, qui ne perdent pas le fil des longues phrases et des inversions des termes et évite ainsi notre aversion. Le pari était risqué de faire jouer une enfant par une comédienne de trente ans mais il est réussi. Pour ce qui est de la scénographie de Marie Begel, la question est de savoir où est la métaphore et la valeur visuelle sur ce plateau ? Le piano a valeur d’objet usuel et nous transporte dans l’univers XIXe de la famille Hugo. Certes. Le hublot-soleil-lune-ombre-chinoise permet de découvrir les dessins et l’univers du maître. Très bien. Mais que représentent les dessins du paravent et du sol ? Un tissu au motif africain ? La rigidité du poète ? Un univers enfantin psychorigide ? Le recyclage d’un décor d’une autre pièce ? Le résultat est que le décor et son ordonnance ne semble pas coller au texte.
Ne pas s’arrêter à ses détails et s’occuper du sens, voilà le plus important. Il faudrait presque fermer les yeux pour que naissent en nous les images qu’inspirent les textes et se laisser aller à la nostalgie.

L’art d’être grand-père
D’après : Georges et Victor Hugo
Mise en scène : Vincent Colin
Avec : Albert Delpy et Héloïse Godet
Scénographie : Marie Begel
Costumes : Cidalia da Costa
Lumières : Alexandre Dujardin

Du 09 mars au 8 mai 2011
Prolongations du 22 juin au 13 août 2011

Lucernaire
53 rue Notre Dame-de-Champs, 75 006 Paris – Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

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