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Ladies first – De Loïe Fuller à Joséphine Baker, conception de Marion Muzac, Théâtre National de Chaillot

Fév 16, 2017 | Commentaires fermés sur Ladies first – De Loïe Fuller à Joséphine Baker, conception de Marion Muzac, Théâtre National de Chaillot

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Nicolas Doubre

Il n’y a eu que deux jours. Trop peu pour découvrir une petite merveille qui au sortir de Chaillot vous donne un peps, un élan formidable et surtout, surtout un regard étonné et admiratif sur une génération de jeunes femmes, de 12 à 20 ans, venues des quatre coins de France, de tous horizons culturels, à qui la danse offre une folle liberté, une identité métissée affirmée, transcendant un héritage dont elles se font à l’occasion de cette représentation épatante les héritières effrontées. Un héritage dont elles ne s’encombrent pas plus que ça, l’interrogeant et le réinterprétant, le trahissant même. Parce que l’enjeu ici n’est pas dans la revendication de cet héritage mais plus exactement dans ce qu’il en reste, son hybridation consciente ou non dans la danse contemporaine urbaine. Parce que la danse a toujours été une question de métissage. Ici ce qui compte est l’esprit plus que la lettre. La liberté plus que le carcan. Le plateau est soudain comme un vaste palimpseste ou subsisteraient les traces de cinq pionnières de la danse, la danse libre, qui ouvrirent celles-ci à la modernité, lui apportant un nouveau souffle, une nouvelle et révolutionnaire façon de penser la danse, le corps et le geste. Une façon unique d’être au monde, un engagement total. Isadora Duncan, Loïe Fuller, Ruth Saint-Denis –sans doute la plus méconnue- Martha Graham et Joséphine Baker. Des identités fortes. Des traces sur lesquelles on danse avant que de les effacer plus ou moins consciemment pour imprimer les siennes. Il n’y a pas là trahison mais réappropriation. Sur le plateau c’est une vaste chambre d’écho où le passé résonne étrangement avec le présent. On ne s’étonne pas plus que ça au fond que l’exotisme et la spiritualité de Ruth Saint-Denis, cette gestuelle puisée aux sources de l’Inde et de l’Asie, résonnent naturellement avec une danse bollywoodienne nerveuse et bondissante en diable. Que les voiles de Loïe Fuller voyagent ici d’occident en orient, du nord au sud, claquent et métamorphosent les corps, avatar soudain de Martha Graham, avant un court instant fugitif de prolonger en cinglant l’air le mouvement comme les manches d’eau des costumes de l’opéra chinois initiées aussi par Ruth Saint-Denis, avant de voyager, de souligner une taille ou dissimuler un corps, propre aux danses de mariage du Maghreb. Que les élans et les rondes d’Isadora Duncan déliant, délivrant les corps, libérés de tout formatage, débarrassés de tout voile, se muent en un battle joyeux de vogging et plus loin de hip-hop. Reprendre la danse de « la mère » ou encore celle de « l’ouvrier », deux solos emblématiques, et découvrir combien ils se prêtent, dans un glissement naturel et sans affect, à une réinterprétation contemporaine et urbaine vous souffle net. Bientôt Le jazz brut et l’énergie foudroyante de Joséphine Becker se frotte et cousine ici avec l’afro-danse et le jerk, le twist sans accroc. Il ne s’agit en rien de reconstitution. Ce qui se passe là, sur ce plateau c’est simplement quelque chose d’intuitif mais de juste. De joyeux. Parce que la danse c’est cela aussi, reprendre, développer, transformer, assimiler, s’amuser.  Assimiler pour la faire sienne, singulière. Une façon d’être au monde, de s’y affirmer. Qu’elles s’inspirent de photos, (on songe un instant à Madonna dans « Vogue » et cette injonction « straight the pose », pose qui ici ne tient pas longtemps dans l’impatience du mouvement), ou des rares films de l’époque, c’est pour mieux s’en dégager en un joli pied de nez, voir ce qui peut en advenir et affirmer non un héritage direct mais les similitudes, les correspondances. En cela ces toutes jeunes filles sont des pionnières aussi par cet affranchissement du passé et son appropriation naturelle en une réinvention du présent par ce métissage, cette ouverture qui dépasse les voies de l’apprentissage. Sur ce plateau règne une liberté totale et magnifique. Et c’est liberté qu’offre la danse, loin de tout formatage, ces danses urbaines contemporaines aussi diverses que passionnantes, dressent le portrait d’une génération de filles d’aujourd’hui perméable et poreuse, ouvertes à toutes expérimentations, ouvertes sur le monde, affranchies. Rien de féministe mais une affirmation de soi, de son identité, de sa liberté et qui en impose. Tout simplement.

 

Ladies first – De Loïe Fuller à Joséphine Baker
Conception Marion Muzac
Collaboration chorégraphique Jérôme Brabant, Mathilde Olivarès
Scénographie Emilie Faïf
Création et régie Lumière Anne Vaglio

Crée avec et dansé par : Anne Emmanuelle Lété, Cléa Rulkin, Iman Bobozo, Lalou Denais, Lola Belhis, Lolilat Perazio, Alice Martin, Fatou Sylla, Jennyfer Urie, Jihane Jabir, Molly Siboulet-Ryan, Zoé de Tarlé, , Cindy Fourgeaud, Clémence Aton, Eglantine Vialaret, Emilie Mitrano, Hanna Mitrano, Lili Girardin, Nina Godderis, Zélie Bousquet

Théâtre national de Chaillot
1 place du Trocadéro
75116 Paris
Le 8 et 9 février 2017
Réservations 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

 

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