Critiques // Critique • « La Vieille et la Bête », conçu par Ilka Schönbein au Théâtre de la Commune

Critique • « La Vieille et la Bête », conçu par Ilka Schönbein au Théâtre de la Commune

Oct 03, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « La Vieille et la Bête », conçu par Ilka Schönbein au Théâtre de la Commune

Critique d’Anne-Marie Watelet

« Entrez, entrez Mesdames et Messieurs ! » harangue un élégant meneur de revue (à première vue), de noir vêtu, debout devant ses instruments de musique: il nous prépare, en chansons et avec malice, à entrer dans le spectacle surprenant que va nous faire partager la danseuse-marionnettiste allemande, Ilka Schönbein.
Il était une fois… Ilka dans ses rêves éveillés, écoutant la voix lointaine de la mort. Avec les marionnettes, sur une petite estrade entourée de paille et de pommes, elle va se transformer en personnages de contes qu’elle a faits siens, par amour pour eux: une jeune ballerine qui finira en « belle ruine », un petit âne en mal d’amour; et enfin une très vieille femme, égrenant ses rêves fous, ses caprices d’enfants… Métamorphoses nourries par sa fascination dès l’enfance pour la marionnette et les contes, par son monde imaginaire et les souvenirs vivaces du père disparu, à qui elle dédie cette création.

© Mario Del Curto

Un duo parfait avec le musicien-narrateur. Lui c’est Alexandra Lupidi (oui, une femme, une sacrée musicienne et chanteuse, et plus encore…) qui l’accompagne de chants italiens et yiddishs envoûtants, d’airs joués au luth, au youcoulélé; les deux accordant leurs voix respectives dans les récits. Tout ceci dans une cadence appropriée au sens, aux facéties amusantes ou pathétiques des êtres qu’elle fait vivre.

Marionnettes sans fils : « J’ai laissé la marionnette prendre possession de moi (…). Il n’y a que la voix que je ne lui ai pas (encore) livrée. C’est de la passion et de l’obsession – est-ce aussi de l’amour? »
En effet, Ilka Schönbein, danseuse et marionnettiste, se défend d’être une technicienne, alliant plutôt l’âme et le geste, comme dans ses précédentes créations. Car à ses personnages imaginaires, elle associe ses désirs, ses démons, ce qui hante son âme. La mort lui demande: « Mais que veux-tu à la fin, mourir ou vieillir? » Sans amertume, le thème de la vieillesse est présent en filigrane.

Un spectacle visuel et sonore qui nous captive par son caractère merveilleux et son intelligence.

© Mario Del Curto

Des vêtements usés et collant à la peau soulignent la sveltesse émaciée de son corps. Princesse, reine déchue, elle s’est coiffée d’une couronne celle des contes de Grimm ou des autres. Les mots sont désarticulés dans sa bouche ébahie, sa voix est celle d’un vieil enfant. Ses mains effectuent une lente et précieuse gestuelle avec les têtes et le corps des marionnettes – à moins que ce dernier soit le sien même ! D’ailleurs ils se confondent, se prolongent. Cambrures, distorsions, écarts tout en finesse, auxquels elle inclut la marionnette dans une symbiose précise. L’illusion est parfaite – non pas l’illusion de la copie, mais celle de la vie: la jeune danseuse qui finira en « vieille ruine », la vieille femme espiègle ou pathétique, une mendiante… Et plus inouï, on a soudain devant soi le petit âne orphelin, pensif, à qui sa génitrice apprend à jouer du luth. Visuellement, cela tient encore du merveilleux lorsqu’on la voit, soulevée légèrement de l’estrade, et rester ainsi à flotter, suspendue, mais à quoi, par quoi? Aucun artifice, aucun objet. Juste une récréation poétique.

Pas d’effets scénographiques particuliers, et c’est tant mieux. Une économie de moyens bien à propos ici. Un lumière vive et blonde descend en surplomb sur les deux artistes, et voilà tout. La mort qui rôde est invisible, représentée par ses paroles en voix off.

Puis au bout d’une heure et?… On ne saurait le dire. Le plateau est plongé dans le noir, mais le public reste immobile, un peu désemparé: il a envie que ça dure encore, envie de retrouver une certaine innocence devant la fatalité du temps et de la vie, envie de rire encore un peu avec ces artistes pas comme les autres. Alors la lumière revient et ils nous étonnent une dernière fois !

La Vieille et la Bête
à mon père

Conception : par Ilka Schönbein / Theater Meschugge
Avec : Ilka Schönbein, Alexandra Lupidi
Musique : Alexandra Lupidi
Régie : Simone Decloedt
Lumières : Anja Schimanski, Sébastien Choriol
Collaborateurs artistiques : Britta Arste, Romuald Collinet, Nathalie Pagnac

Du 30 septembre au 8 octobre 2011
Mardi, mercredi et samedi à 20h30, le dimanche à 16h (relâche exceptionnelle le 6/10)

Théatre de la Commune – Centre Dramatique National d’Aubervilliers
2 rue Edouard Poisson, 93 304 Aubervilliers
Metro Aubervilliers-Pantin-Quatre Chemins – Réservations 01 48 33 16 16
www.theatredelacommune.com

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