Critiques // « La Vie est un Songe » de Calderon, mise en scène William Mesguish au Théâtre 13

« La Vie est un Songe » de Calderon, mise en scène William Mesguish au Théâtre 13

Jan 07, 2010 | Aucun commentaire sur « La Vie est un Songe » de Calderon, mise en scène William Mesguish au Théâtre 13

Critique de Monique Lancri

Sigismond enchaîné

« Sigismond enchaîné, Sigismond déchaîné, Sigismond réconcilié ». Elisabeth Chailloux (qui monta la pièce en 2001) résumait ainsi « La vie est un songe ».
Sigismond vit dans une tour, enfermé depuis sa naissance par son père, le roi Basyle, qui a lu dans les astres que celui-ci, après l’avoir détrôné, deviendrait un tyran. En vingt ans, Sigismond n’a connu que son geôlier, le noble Clothalde. Devenu vieux, Basyle songe à sa succession. Il se met à douter : Sigismond ne devrait-il pas régner plutôt qu’Astolphe, son neveu ? Et si les astres laissaient aux hommes une part de liberté ? Le roi décide de tenter une expérience. Drogué, Sigismond est transporté au Palais, installé en qualité de Prince. Comment va-t-il réagir ?
« Sigismond déchaîné ». Après un moment de stupeur, Sigismond se conduit comme un monstre. Les astres avaient raison. Drogué derechef, il se retrouve dans sa tour.
« Sigismond réconcilié ». Pendant que Sigismond philosophe (où est le rêve ? où est la réalité?), le peuple, ayant appris son existence, vient le délivrer. Sigismond a vaincu son père et surmonté ses instincts bestiaux.
Preuve de sa magnanimité : il renonce par amour à Rosaure, son double féminin. « Qu’est -ce que Calderon a voulu dire par là? » demandait Pasolini.

Le songe inversé de nos vies

Même s’il existe quelques exemples fameux prouvant le contraire ( Dullin monte la pièce en 1921 dans une étroite boutique de teinturier ), « La vie est un songe » nécessite de vastes plateaux. Le mérite de William Mesguish et de Marsollier, son scénographe, est d’avoir utilisé au mieux la petite scène du Théâtre 13. Ni montagne, ni tour pour séquestrer Sigismond ; mais une cage de verre guère plus grande qu’une cabine téléphonique, exhibant jusqu’au dénouement son prisonnier recroquevillé. Quant au reste de l’espace scénique, il sert tour à tour de lieu de rencontre et de palais. S’il en rétrécit l’espace (aux dimensions d’une prison), Mesguish rend incertain l’époque de la pièce. Les temps se mêlent au gré des accessoires sans que les anachronismes fassent problème. C’est ainsi que Rosaure arrive bruyamment en voiture automobile (dans les coulisses), cachant sous un moderne pantalon le couteau remis par sa mère pour lui permettre de trouver un protecteur ; mais c’est un arc et une flèche qu’elle brandit, quelques scènes plus tard, pour tuer son amant ! Autre exemple du plus bel effet : des télévisions (situées côté jardin), en contrepoint de la cage de verre, (côté cour) sont allumées par Basyle qui zappe pour revoir des scènes du passé ou pour épier son fils en captivité, comme si celui-ci était filmé par une caméra de surveillance. Le roi ne quitte jamais son accoutrement de monarque, sauf dans l’émouvante scène où, vaincu par l’armée de Sigismond, il se réfugie dans la cage de verre, seulement vêtu du costume marin que portait Sigismond au début: les habits comme les rôles ont été inversés. Autre trouvaille («de taille») concernant les atours : si Mesguish campe Etoile telle une poupée, en robe à panier et dessous multicolores, lorsque celle-ci se dévoile aux yeux éblouis de Sigismond, elle apparaît juchée sur l’échafaudage d’une gigantesque crinoline, à l’instar d’une « nana » de Niki de Saint-Phalle. Mais à l’inverse, à propos du choix si concerté des tenues, pourquoi « déguiser » Clothalde en nazi ? Pourquoi montrer ce dernier torturant Sigismond? Pourquoi ces signes cabalistiques dont les noirs tatouages déparent les visages? Ultime réserve: si élaguer le texte de Calderon le rend plus nerveux, celui-ci n’y perd-il pas en profondeur et poésie, en énigme et en complexité? Car si le songe n’est pas mensonge, qui peut répondre à la question posée par Pasolini ?

Le Théâtre 13 propose un spectacle intelligemment mis en scène, donnant d’autant plus à réfléchir qu’il est servi par des acteurs convaincants dans leurs « rôles ». Car la pièce fait fond sur la notion de « rôle » comme ressort essentiel du théâtre de la vie : si la vie est un songe, que faisons-nous d’autre sinon changer de place, tenir nos rôles en rêvant de les intervertir ?

La Vie est un Songe
De : Calderon
Mise en scène : William Mesguish
Avec : Alain Carbonnel, Sophie Carrier, Matthieu Cruciani, Sébastien Desjours, Zbigniew Horoks, William Mesguish, Rebecca Stella
Scénographie et lumières : François Marsollier
Adaptation et collaboration artistique : Charlotte Escamez
Création son : Vincent Hulot
Création costumes : Alice Touvet
Video : Emmanuel Broche, Magie Alpha
Maquillage : Dominique Plez

Du 5 janvier au 14 février 2010

Théâtre 13
103 A boulevard Auguste Blanqui, 75013 Paris – 01 45 88 62 22
www.theatre13.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.