Critiques // « La Trilogie de la Villégiature » d’après Goldoni, adaptation Toni Servillo à la MC93

« La Trilogie de la Villégiature » d’après Goldoni, adaptation Toni Servillo à la MC93

Avr 08, 2010 | Aucun commentaire sur « La Trilogie de la Villégiature » d’après Goldoni, adaptation Toni Servillo à la MC93

Critique de Monique Lancri

Toni Servillo a choisi, comme l’avait déjà fait Strehler il y a quelques trente ans, de rassembler en un spectacle unique les trois pièces en un acte qui forment, dans l’œuvre de Goldoni, La Trilogie de la villégiature. Pour les spectateurs d’aujourd’hui, ce parti pris semble couler de source tant ces trois pièces s’enchaînent avec fluidité. Si le metteur en scène a dû, bien sûr, pratiquer quelques coupures, celles-ci ne se remarquent guère ; aussi avons-nous l’impression d’assister à la représentation d’une pièce en trois actes qui fait fonds sur les problèmes sociaux inhérents à la « manie » de la « villégiature ».

Trois coups : ainsi le destin sonne-t-il à la porte de tout un chacun.

Acte 1 : Livourne, vers 1760. Les bourgeois de la ville se préparent tous (car ainsi l’exige la mode) à partir en villégiature à la campagne. Nous suivons deux familles : celle de Leonardo et de sa sœur Vittoria, celle de Fillipo et de sa fille Giacintia. Excitation, affairement, fiançailles nouées à la va-vite ; et surtout gros problèmes d’argent dont on n’a cependant cure car on verra bien au retour, l’essentiel étant de partir.

Acte 2 : la villégiature à la campagne. Nous y voilà enfin ! On se fréquente, on s’observe, on s’ennuie, on joue aux cartes. On flirte aussi beaucoup. Par pur désœuvrement. Mais le jeu s’avère dangereux ainsi que Giacintia va l’apprendre à son corps défendant. Quant aux dépenses, elles sont énormes : on dilapide d’autant plus d’argent que l’on est criblé de dettes : il faut tenir son rang.

Acte trois: le retour à Livourne. C’est l’hiver. Il pleut. Certains sont rentrés ruinés de la villégiature. Le retour à la vie sociale s’effectue dans le cadre des conventions un temps suspendues et maintenant retrouvées. Ainsi sacrifie-t-on le « grand amour », celui né en été, pour faire place à un mariage platement conventionnel. Choix, oh ! combien douloureux ! La pièce se termine sur une note tragique qui est aussi une belle astuce de mise en scène : les larmes que Giacinta laisse couler sur son visage ne sont visibles que pour nous. Elles font des spectateurs les complices obligés du désespoir qui ponctue la pièce.

Reprise et (sur)prise.

Sur ce spectacle, qui est une reprise, tout a déjà été dit et bien dit. Lors de sa création, les compliments ont fusé, unanimes : je ne peux que faire chorus. Mon seul regret est à la mesure du supplément d’éloges que l’on pourrait décerner ; c’est celui de ne pas comprendre l’italien. Car il n’empêche que l’oreille est charmée par les mélodies et les accents différents des acteurs, par ailleurs tous formidables. Les quitter des yeux pour lire les surtitres, constitue déjà une véritable frustration. Or il se trouve que le décor de la première partie de La villégiature à la campagne est si éblouissant de lumière que les surtitres en deviennent totalement illisibles : quasiment blanc sur blanc. Force me fut donc de me concentrer, sous silence de compréhension, sur les mimiques, les intonations et la gestuelle des comédiens : cette torture s’est avérée un régal !

On rit beaucoup, surtout dans les deux premières pièces, mais d’un rire qui devient de plus en plus grinçant. Signalons, dans le dernier acte, une scène particulièrement drôle en dépit de son extrême cruauté, lorsque Ferdinando (superbement servi par Toni Servillo) se plaît à lire en public, pour s’en moquer, la lettre que lui a envoyé sa « vieille » maîtresse.

Tommaso Ragno, qui interprète Guglielmo, fait de son personnage un « mélancolique » parfait. Désabusé, voire « indifférent » comme dans le célèbre tableau de Watteau.  Il campe l’exact opposé de Leonardo, lequel est frivole, étourdi, jaloux, boudeur ; mais c’est le fiancé de Giacinta, celui que celle-ci va se résigner à épouser, malgré la fascination qu’elle éprouve pour ce beau ténébreux de Guglielmo : ainsi va la vie et vont les amours après la villégiature.

On ne peut que louer Toni Servillo pour son minutieux travail de « chef d’orchestre ». Il a su trouver le ton juste, entre Tchekhov et Strehler, pour ajuster (comme eut dit René Char) « l’angle fusant d’une rencontre », à savoir la rencontre, si délicate à réaliser, d’un public, d’un grand texte et, ici, d’une quinzaine d’acteurs.

Trilogie de la Villegiature
– En italien surtitré –
D’après : Carlo Goldoni
Adaptation et mise en scène : Toni Servillo
Avec : Andrea Renzi, Francesco Paglino, Rocco Giodano, Eva Cambiale, Toni Servillo, Paolo Graziosi, Tommaso Ragno, Anna Delle Rosa, Chiara Baffi, Gigio Morra, Fiorenzo Madonna, Betti Pedrazzi, Mariella Lo Sardo, Giulia Pica, Marco d’Amore
Scénographie : Carlo Sala
Costumes : Ortensia de Francesco
Lumières : Pasquale Mari, réalisées par Lucio Sabatino
Son : Daghi Rondanini
Collaboration artistique : Costanza Boccardi

Du 7 au 11 avril 2010

MC 93
1 bd Lénine, 93 000 Bobigny
www.mc93.com

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