Critiques // « La Tragédie du roi Richard II » de Shakespeare aux Gémeaux

« La Tragédie du roi Richard II » de Shakespeare aux Gémeaux

Jan 09, 2011 | Aucun commentaire sur « La Tragédie du roi Richard II » de Shakespeare aux Gémeaux

Critique d’Audren Destin

Que l’on trouve une pièce fabuleuse ou terriblement mauvaise, dans les deux situations, il est relativement facile d’en faire la critique. Il suffit d’exprimer son enthousiasme ou d’enfoncer le clou. Que ce soit par de brillants éloges ou une critique assassine, il y a du plaisir à prendre pour le journaliste. Dans le meilleur des cas on participe à la diffusion du chef-d’œuvre, dans le pire, on participe à son anéantissement. Dans les deux cas on prend son pied. Mais lorsqu’on est dans le vague, dans l’entre-deux, alors les choses sont plus difficiles.

« La Tragédie du roi Richard II » raconte l’histoire d’un roi destitué, victime de son rival autant que de lui-même. Mais comme le souligne Jean-Baptiste Sastre, le metteur en scène, l’enjeu de la pièce n’est pas tant la destitution de Richard que la dénonciation d’une « conception archaïque, injuste et théologique du pouvoir ». On assiste ici à la fin d’un monde dont il ne reste que des empreintes. Le parti pris de Jean-Baptiste Sastre est alors de restituer « l’étrangeté poétique de ce monde perdu, peuplé de morts, et dans lequel les survivants tentent d’échapper à leur destin. ». Pour ce faire, il utilise des procédés effectivement étranges.

Le décor est simple, minimaliste: une longue poutre qui traverse la scène, un feu, une table. Rien de plus pour remplir la grande scène du Théâtre des Gémeaux. Dans ce grand espace presque vide, les comédiens sont affublés de costumes fantaisistes, qui ne correspondent à rien de connu mais après tout il faut bien laisser l’imaginaire s’exprimer. Ainsi John de Gaunt porte une longue robe qui brille de mille paillettes, la reine est vêtue d’une délicieuse robe rose, York, lui, est en bleu, et ainsi de suite. Des personnages très colorés dans un décor sombre et austère, voilà l’idée.

Tout cela est amusant mais où cela nous mène t-il ? Pas bien loin malheureusement. Disons qu’on aimerait en voir plus. Bien sûr, il y a aussi les lumières, les bruitages, sons de clairons ou bruits d’oiseaux déchirants, qui entrecoupent les scènes et participent à l’étrangeté de ce royaume perdu, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il manque quelque chose pour rythmer l’action et donner du poids à cette tragédie. En effet pourquoi un dispositif si réduit pour une pièce de cette ampleur ? Une pièce qui dure tout de même 2h40 et qui comporte une vingtaine de personnages. Comment s’y retrouver lorsque les situations s’enchainent et que les personnages défilent dans une sorte de flou artistique sans rien d’autre pour délimiter l’action que des changements de lumières et quelques plages musicales ? En dehors de toute considération métaphysique, le spectateur vient avant tout voir un spectacle. On peut dès lors légitimement se demander si cette mise en scène n’aurait pas plutôt sa place sur une petite scène, dans un cadre plus intimiste, où l’on pourrait concentrer toute son attention sur le jeu des comédiens, car dans ce dispositif c’est sur eux que tout repose, et le grand vide qui les entoure ne me semble pas les avantager, sans compter qu’on a parfois du mal à les entendre.

Un tour de piste et puis s’en va

Cependant il faut rendre à César ce qui est à César, il y a une véritable direction d’acteur, les comédiens son excellents. Denis Podalydès incarne avec beaucoup de subtilité et de drôlerie ce roi au bord du gouffre. Roi déchu, roi de pacotille, qui semble porter une couronne trop lourde pour lui, et s’agite comme s’il sortait tout droit d’un asile d’aliénés, au milieu de la débandade générale, faible, vaincu, ironisant sur lui-même et sur sa condition. « Sa majesté laissera la vie sauve à Richard jusqu’à sa mort ? ». Choisissant ainsi le registre du burlesque, et grâce à la traduction de Frédéric Boyer, résolument contemporaine, il réussit à donner un ton original et humoristique à cette tragédie. D’une certaine manière son malheur fait notre bonheur. Mais le talent des comédiens ne suffit pas à remplir le vide laissé par la mise en scène. Le tout forme un brouillon dont à du mal à extraire l’essentiel. Chaque scène prise à part est intéressante mais l’ensemble fonctionne mal.

La Tragédie du roi Richard II
De : William Shakespeare
Traduction : Frédéric Boyer
Mise en scène et scénographie : Jean-Baptiste Sastre
Avec : Axel Bogousslavsky, Frédéric Boyer, Cécile Braud, Peter Bonke, Jean-Charles Clichet, Jérôme Derre, Bénédicte Guilbert, Yvain Juillard, Alexandre Pallu, Denis Podalydès, Anne-Catherine Regniers, Nathalie Richard, Jean-Baptiste Sastre, Bruno Sermonne
Scénographie : Sarkis
Lumières : André Diot
Son : André Serré
Costumes : Domenika Kaesdorf
Damaturgie : Ellen Hammer
Assistanat à la mise en scène : Stefano Laguni
Conception du système lumière : Barthélémy Robino

Du jeudi 6 au dimanche 16 janvier 2011

Théâtre Les Gémeaux – Scène Nationale de Sceaux
49 avenue Georges Clémenceau, 92 Sceaux – Réservations 01 46 61 36 67
www.lesgemeaux.com

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