Critiques // « La Tête de l’Homme » de Florence Pazzottu à la Maison de la Poésie

« La Tête de l’Homme » de Florence Pazzottu à la Maison de la Poésie

Mar 05, 2010 | Aucun commentaire sur « La Tête de l’Homme » de Florence Pazzottu à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

L’aperception de l’ombre

Entre le 6 et le 7 avril, événement choc, point de départ d’une aperception de l’ombre qui convoque l’humanité.

La Tête de l’Homme, un titre bien singulier pour une narration tout en vers, et non en alexandrin, comme on pourrait le croire, avant d’en éprouver le vrai rythme et de faire le décompte des syllabes, treize au total ! Treize syllabes et une longue suite de vers articulés en séquences titrées, qui fendant l’opacité du silence imposé, convoque l’humanité.

Une ville, Marseille, une ambiance, des souvenirs d’enfance, des odeurs, des bruits et puis le quartier du Panier et cette aventure nocturne qui tord le cou d’une femme dont la chute l’entraîne dans les abîmes du traumatisme d’où jaillissent les interrogations d’une existence fragile, comme celle de ceux qu’elle évoque dans sa longue narration de l’obscur.

Une histoire principale creuse la plaine des libres assertions de l’auteur pour charrier les alluvions d’une humanité prise dans le courant torride de l’aperception de l’ombre. D’une banale agression nocturne, Florence Pazzottu, déploie la « singulière complexité » dans une longue suite, ou plutôt poursuite, tant la course est haletante et oppressante. Elle tire et tient à la fois, les multiples fils d’une histoire qui renvoie sans cesse à d’autres évènements toujours plus poignants mais libérés de toute forme d’emphase. Histoire de famille dans laquelle la filiation permet d’établir une légitimité à ce qui existe ou a existé, une histoire de maisons, d’un litige autour d’un garage, et bien d’autres histoires encore qui ont pour prologue celle d’un ami rwandais dont la fille a été tuée lors du génocide. Agression nocturne comme point de départ d’une course poursuite après la vie, Florence Pazzottu convoque l’humanité dans son long poème de l’évocation où les lignes narratives croisent celles de nombreuses réflexions empruntes d’une philosophie affirmée.

Mystères de l’ombre

Plongé dans une semi-obscurité, le plateau s’éclaire par la présence de Marion Bottollier, fendant les mystères de l’ombre avec une force tranquille, elle chuchote d’une voix sourde le récit de l’indicible. Habillée d’une longue robe au décolleté délicatement pailleté, le cheveu coiffé à l’antique, droite face au public, elle débute une course haletante à travers l’opacité d’une épopée dont le vers, comme un sursaut, une percée énigmatique dans la prose, fait retentir des sonorités raciniennes. La noblesse de son port de tête ainsi que la précision de son geste, réduit à sa plus simple expression, associent la comédienne aux gloires du siècle passé dont on peut trouver les gravures dans les cartons d’archives du Français ou de la bibliothèque de l’Arsenal. Dans un souffle à la fois salvateur et inquiétant, elle s’emploie à respecter le rythme aliénant du poème de « l’impureté d’être ». Sa présence se suffit à elle-même, pour dire et révéler au public ce que parfois on peut ne pas entendre. Elle maîtrise l’art de la diction d’un poème contraignant par sa force et sa concision avec une intelligence scénique toute exceptionnelle. Irradiant l’obscurité d’un plateau qui se révèle au spectateur, comme ces histoires qui s’enchaînent et tissent les fils douloureux de l’être, elle convoque l’humanité. Tantôt à l’avant-scène pour s’épancher encore davantage ou chutant du haut d’une estrade, d’un chemin menant vers nulle part, Marion Bottollier, donne à entendre une harmonie des mots qui s’essouffle dans l’évanescence d’un instant fugitif et fragile, comme la vie.

Des images, projetées en fond de scène, accompagnent le découpage séquencé du texte qui augmente ce sentiment de course vers une pensée toujours plus éclatante. Marion Bottolier porte à la scène les affres d’une tragédie qui sans emphase, emporte le spectateur dans la crainte de l’effondrement.

La Tête de l’Homme
De : Florence Pazzottu
Mise en scène : François Rodinson
Avec : Marion Bottollier
Collaboration artistique : Emeline Touron et Jean-Thomas Bouillaguet
Musique : Camille Perrin
Scénographie : Vincent Tordjman
Lumière : Christian Pinaud
Costumes : Cidalia Da Costa
Perruque, maquillage : Sophie Niesseron

Du 3 mars au 4 avril 2010

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-Martin, 75003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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