Critiques // « La seule certitude que j’ai c’est d’être dans le doute » de Pierre Desproges

« La seule certitude que j’ai c’est d’être dans le doute » de Pierre Desproges

Mai 05, 2010 | Aucun commentaire sur « La seule certitude que j’ai c’est d’être dans le doute » de Pierre Desproges

Critique de Dashiell Donello

Les pieds nus, les souliers vernis à la main. Il entre silencieux et regarde une petite veilleuse qui semble lui dire : commence, je suis tout prés de toi !

Christian Gonon a eu la bonne idée de rendre hommage à Pierre Desproges (1939-1988). Sa reprise au théâtre du Vieux Colombier est un pur bonheur. Mot que l’auteur de la minute nécessaire de Monsieur Cyclopède dans les années 80, m’aurait sûrement gratifié d’un : attention tu marches dedans !

Le ton est vite donné et va droit au but :
« Je vais mourir ces jours-ci. Il y a des signes qui ne trompent pas : Sur le plan purement clinique le signe irréfutable de ma fin prochaine m’est apparu hier à table : je n’ai pas envie de mon verre de vin. Rien qu’à la vue de la liqueur rouge sombre aux reflets métalliques, mon cœur s’est soulevé. C’était pourtant un grand saint-émilion, un Château-Figeac 1971, c’est-à-dire l’une des plus importantes créations du génie humain depuis l’invention du cinéma par les frères Lumière en 1895. J’ai soulevé mon verre, j’ai pointé le nez dedans, et j’ai fait : « Beurk. » « On ne se moque pas de qui rit de lui-même », disait Sénèque. Chez Pierre Desproges le rire est soigneux et philosophe, avec des facultés lucides de clown shakespearien.
Au début, j’étais un écrivain qui venait dire ses textes. Puis j’ai appris à parler, à respirer, à bouger sur scène. Depuis lors, je méprise beaucoup moins les comédiens.

Oui. Desproges était un bouffon contemporain qui disait avec le verbe haut ce que personne n’osait penser tout bas. L’impression qu’il avait de ses « frères humains » faisait penser aux vanités de Caravage dans le clair-obscur de ses moqueries, avec le ton neuf d’une anarchie éclairée.

L’homme qui avait pour projet la mort, avait l’intention d’écrire pour les autres. Bien lui en a pris, car aujourd’hui Christian Gonon, sociétaire de la Comédie-Française,  reprend avec excellence le caractère philosophe du Memento mori, Desprogien, où personne n’est épargné.
L’écriture, néo-classique de Pierre Desproges, fouinait dans l’actualité de la société spectacle. Vingt et ans plus tard elle a toujours une résonance actuelle. Son style plein d’humour « dégagé » est poétique et quotidien à la fois. Sa plume passe du rire acerbe à la provocation. Elle résonne violemment sur le quidam qui ne saurait pas lire son humour subtil à plusieurs degrés. Si l’humoriste est parti trop tôt à 48 ans, il nous reste aujourd’hui un authentique écrivain. D’ailleurs ne disait-il pas : « J’ai un frileux respect du langage. Je ne suis pas pour autant contre l’évolution et les apports de mots étrangers dans les langues, mais à condition qu’ils aient une vraie raison d’être. »

Les morceaux choisis par Christian Gonon nous donnent à voir, sous l’acidité de leurs tonalités, une recherche du sens de la vie ou de son absurdité. Il vit et personnifie ces chroniques ordinaires avec talent et maîtrise. Il n’est pas Desproges et pourtant Pierre est là. A la fois, plein de finesse, d’humour cruel, bonhomme, dur et distancié.
La mise en scène, d’Alain Lenglet et Marc Fayet, est une digne servante de théâtre qui s’efface au profit de l’auteur.

Ce spectacle est un petit bijou que l’on ne doit pas se refuser.

La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute d’un monde parallèle, car qui était là ce soir ? Pierre ou bien Christian, peut-être les deux ? Etonnant, non ?

La seule certitude que j’ai c’est d’être dans le doute
Texte : Pierre Desproges
Avec : Christian Gonon
Mise en scène : Alain Lenglet et Marc Fayet

Du 5 au 19 mai 2010

Théâtre du Vieux Colombier, Comédie Française
21 rue du Vieux Colombier, 75006 Paris
www.comedie-francaise.fr

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