Critiques // Critique • « La Pluie d’été » de Marguerite Duras à la Comédie Française

Critique • « La Pluie d’été » de Marguerite Duras à la Comédie Française

Oct 03, 2011 | Un commentaire sur Critique • « La Pluie d’été » de Marguerite Duras à la Comédie Française

Critique d’Anne-Marie Watelet

L’écrivain Marguerite Duras (1914-1996), ainsi que le jeune metteur en scène Emmanuel Daumas font leur entrée à la Comédie-Française : un évènement théatral !

La Pluie d’été, est un roman écrit en 1990 à partir de personnages inventés dix ans plus tôt à Vitry-sur-Seine, cette banlieue qui, étrangement, la fascinait ; elle en avait fait un film « Les Enfants ». M. Duras dit de ce roman qu’il était pour elle « la seule narration possible », à un moment où elle croyait sa mort proche.
Ici, pas de bourgeois ni d’intellectuels, mais des ouvriers, des laissés-pour-compte parmi des bidonvilles qui seront à cette époque-là, remplacés par les HLM. Nous sommes donc dans la salle-cuisine familiale à Vitry. L’assistance sociale loge ces immigrés italoslaves, marginaux faute d’argent et de culture, mais solides dans leur complicité et leurs émotions. Il y a Ernesto, 12 ans, sa petite soeur Jeanne, les parents et l’instituteur. Ernesto veut quitter l’école, apprendre autrement et seul.

© Cosimo Mirco Magliocca

« Dans ce contexte, c’est la famille en marche vers la destruction qui m’intéresse (…) l’entreprise d’arrachement de la famille », dit M. D.Ernesto symbolise cette marche, lui qui veut tout comprendre, le monde, la vie. Et de se mettre en tête de tout connaitre. Mais à l’école « on nous apprend ce que l’on ne connait pas ». Grandi, il quittera les siens un soir de pluie d’été. C’est un des fils du texte, ponctué d’humour dans les dialogues, l’humour des innocents, des naïfs qui s’aiment mais que la vie a laissés sur le chemin. Justement, un chemin qui fait d’eux des étrangers ; cet « arrachement » se cristallise dans le personnage de la mère, surtout, qui n’a en mémoire que les trains de nuit transsibériens et son Ernesto. La mère, l’exil, le frère adoré, l’ « ancienne nationale 7 » (la piste à Saïgon), les chantiers… Des morceaux de jeunesse indélibiles, inhérents à lécriture de Duras.

Une écriture romanesque que le metteur en scène a dû transformer et faire sienne, de manière à la restituer sur une scène.
A la fois narrateurs et personnages, les comédiens réussissent à ne pas embrouiller les voix et les intonations, et plus, ils s’en tirent, pour cette « première », avec brio et naturel.
Toutefois, si ce procédé d’Emmanuel Daumas est bien assumé, il s’ensuit une mise à distance constante entre la fiction – et surtout le jeu des comédiens, tantôt en-dehors du jeu, tantôt dedans. Alors le spectateur reste un peu sur le bord…

© Cosimo Mirco Magliocca

Pendant un moment, le jeu parait donc artificiel, notemment celui de Claude Matthieu, la mère, qui porte d’ailleurs une robe rouge, « donnée par la mairie », trop élégante pour son personnage ! Son allure et son phrasé collent mal à une femme pauvre et « sous-développée » ! Peu à peu, tous deviennent plus habités par leur personnage, et au gré de leurs émotions, de leur tendresse, ils dansent ou s’enlacent avec légereté, sur des notes de chansons espagnoles et italiennes. Le rythme est alors enlevé, puis changeant selon les humeurs du père, incarné par Christian Gonon qui, du début à la fin, donne à voir parfaitement l’homme bon, terre à terre, mais n’ayant peur de rien. Campé sur ses jambes solides, vêtu d’un « mimil » dévoilant sa belle musculature, les cheveux plaqués en arrière et mal rasé, parlant haut et fort, Gonon magnifie cet ouvrier. Eric Génovèse joue, goguenard, le maître d’école, et entraine l’action avec beaucoup d’eclat dans des discussions à bride abattue avec les parents. Quant à Ernesto, Jérémy Lopez le campe de façon juste : sortant peu de sa réserve, le regard sombre et lointain, il fait ressortir le mystère qu’il est pour les parents. Et Jeanne, la soeur? Eh bien Adeline D’Hermy est simplement délicieuse de naturel, de spontanéité. Sa jeune voix, ses intonations donnent à l’ensemble une authenticité rare. Enfin, C. Matthieu sort d’elle-même et nous entraine vers une mère vibrante. Des touvailles de mise en scène mettent en valeur avec bonheur l’unité de cette famille ainsi que des moments graves, traduits de façon poétique.
La scénographie est simple et symbolique à la fois (l’eau, les fuites, les canalisations), mais manque un peu de chaleur. En revanche, elle se combine parfaitement au parti pris de la distanciation. Le texte de Duras apparait à la fin, au fond, sur écran vidéo. Ceci nous laisse sur sa pensée profonde et grave, sur son écriture unique et belle: que la connaissance est vaine. Vanité, tout n’est que vanité… Ce qu’Ernesto, proche de l’auteur dans cette narration nécessaire, a répété lorsqu’il a enfin compris.
Oeuvre testamentaire de M. Duras?
Cette adaptation de La pluie d’été, juste et belle, fait honneur au texte et le porte avec brio.

La Pluie d’Été
De : Marguerite Duras
Mise en scène : Emmanuel Daumas, assisté par Vincent Deslandres
Avec : Claude Mathieu, Eric Génovèse, Christian Gonon, Marie-Sophie Ferdane, Jérémy Lopez, Adeline D’Hermy
Scénographie et costumes : Saskia Louwaard et Katrijn Baeten
Lumières : Bruno Marsol
Création sonore : Dominique Bataille
Assistante aux costume : Cara Marsol
Décors : l’atelier Jipanco

Du 28 septembre 2011 au 30 octobre 2011
Du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 16h, et mardi à 19h

Comédie Française
Théâtre du Vieux-Colombier

21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6e
Métro St-Sulpice – Réservations 01 44 39 87 00/01
www.comedie-francaise.fr

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