Paroles d'Auteurs // « La Pierre » de Marius von Mayenburg

« La Pierre » de Marius von Mayenburg

Mar 06, 2010 | Aucun commentaire sur « La Pierre » de Marius von Mayenburg

Lecture de Bruno Deslot

Ils ne font que passer.

En 1993, trois femmes, la grand-mère, sa fille et sa petite-fille, retrouvent leur maison familiale après son achat en 1934 à un couple de juif contraint à la fuite.

Soixante années pour exhumer les restes de la pierre qui en dit plus que ses habitants, soumis au diktat du non-dit ou de l’oubli forcé par une histoire compliquée. De retour dans la maison de famille, les trois femmes semblent vivre comme si de rien n’était, une page est tournée, celle de l’histoire nationale et celle d’une famille qui retrouve le lieu qu’elle avait quitté pour passer à l’Ouest au moment de la partition de l’Allemagne. La réunification du pays, les lois de restitution leur ont rendu leur bien, mais la mémoire met en lumière une quête profane de la possession et cette impossibilité à se débarrasser du « passé ». Une page semble avoir été tournée, mais c’est compter sans les cauchemars de la grand-mère, le malaise et l’envie de fuir de la petite-fille et la présence des fantômes, morts ou vifs, qui hantent le lieu. De la cave au grenier, de 1934 à 1993, ils ne font que passer, ces gens qui mènent un combat de mémoires et de droits dont aucune preuve ne peut, malgré les apparences, attester la véracité et la légitimité incontestables.

Une histoire douloureuse

En 1934, à Dresde, une famille juive est forcée de vendre sa maison et la transaction à laquelle elle procède ne portera bonheur à personne. Puis, au cours des décennies qui s’enchaînent, les habitants de la demeure changent au même rythme que les systèmes politiques. Pas à pas, la pièce suit, jusque dans les années 90, des vies qui s’entremêlent au gré des évènements engagés sur la voie d’un contexte politique particulièrement tendu et douloureux. La culpabilité et le refoulement apparaissent clairement et la légende familiale, entretenue malgré tout, se brise. Les femmes se saisissent d’un quotidien dont elles s’accommodent en dépit de l’absence des hommes qui ont fichu le camp. Marius Von Mayenburg procède à des bonds audacieux dans le temps, mettant en scène des personnages contradictoires afin de mettre en lumière les conflits représentatifs de l’histoire de l’Allemagne des soixante dernières années. Trente-quatre scènes brèves, favorisent une action qui va et vient d’une époque à une autre, recourant à un système d’écriture qui consiste à ce que les dernières phrases de la scène précédente correspondent aux premières de celle qui lui succède, éprouvant ainsi le temps d’une contrainte littéraire qui puise dans la force de l’Histoire. La topographie demeure la même et la pierre reste le témoin tangible de toutes ces tractations. Le processus théâtral s’oriente progressivement vers la mise en perspective de la représentation de l’Histoire.

Un collage morcelé

« devoir de mémoire » ou « repentance », l’auteur ne semble pas chercher la Vérité, il observe au contraire comment vivent les gens pour mieux cerner leur complexité. Les héroïnes de La Pierre sont des femmes chargées d’établir des filiations, réelles ou imaginaires, inscrites dans la durée, de transmettre un héritage, d’avoir ce rôle de passeur. L’héritage tente toujours d’être transmis comme un fardeau amoindri mais n’évite pas les fautes commises ou celles qui le seront. La nouvelle génération, celle de Mayenburg, semble épargnée de ce cadre donné dans lequel on l’a confinée, mais un puissant sentiment de culpabilité domine encore les esprits. Les morts demeurent injoignables dans la vraie vie, mais le théâtre possède la magie du temps recréé qui permet d’instaurer ce dialogue, de les faire revenir, tout comme ces générations du peuple allemand qui ont connu l’exil puis la réunification et reviennent chez eux après quarante ans d’émigration. La notion du « chez soi » domine toute la pièce et fait écho à une actualité brûlante dans une langue simple, qui ne cherche pas l’effet de style, mais utilise le langage du quotidien. L’auteur donne le sentiment d’avoir réalisé un collage, dans sa pièce, donnant à la représentation de l’histoire, une place singulière. Entre 1934 et 1993, le changement d’époque fait apparaître simultanément deux espaces, l’espace concret de chaque scène et l’espace intellectuel de la maison tout en inscrivant les personnages comme symbole de la résistance, de la maison et de la patrie

Marius Von Mayenburg réalise d’une main de maître, un tableau sombre et réaliste, traitant d’une période douloureuse qu’a connue l’Allemagne par le prisme de la filiation et de cet aller et retour systématique entre hier et aujourd’hui. La Pierre demeure l’édifice inébranlable d’un paysage tumultueux et complexe.

La Pierre
De Marius von Mayenburg
Texte français d’Hélène Mauler et René Zahnd

L’Arche Editeur
86 rue Bonaparte, 75006 Paris

www.arche-editeur.com

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