Critique d’Audren Destin –

« La nuit juste avant les forêts » est une pièce difficile. En fait ce n’est pas une pièce, mais une longue phrase, dite par un homme au bord de la mort. À la première lecture, on ne comprend pas vraiment de quoi il s’agit. Patrice Chéreau lui-même avoue avoir été décontenancé lorsqu’en 1979, il a lu pour la première fois ce texte. Il se présentait, dit-il, « sous la forme intimidante d’une grande phrase unique de vingt cinq pages qui ne me donnait aucune porte pour y entrer, pas une fenêtre, pas un soupirail pour regarder à l’intérieur ».

© Pascal Victor

C’est un texte très dense mais également très répétitif, de manière presque hypnotique. Qui est cet homme ? A qui parle t-il ? Pourquoi est-il là où il est ? Mais d’abord, où est-il ? Voici comment Bernard-Marie Koltès résumait les choses : « Un homme tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus; un monde nocturne qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner; il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut être, silencieux, immobile. »

On peut dès lors se demander : si quelqu’un dans la rue m’abordait et me racontait tout ça, combien de temps tiendrais-je ? Mais on peut également considérer que cette question n’a aucun intérêt. On peut aussi se poser la question de savoir si la pièce rencontrerait son public sans les noms de Chéreau et Romain Duris. Un texte compliqué, qui paraît incohérent au premier abord, dit par un acteur seul sur un lit d’hôpital au milieu d’une scène vide, ce n’est tout de même pas évident. Romain Duris, pour sa première expérience théâtrale, a donc choisi de relever un défi difficile et exigeant. Mais il le relève avec adresse et on le sent véritablement investi dans son rôle. Pendant plus d’une heure et demi, dans un jeu très chorégraphié et nerveux, il donne vie aux mots de Koltès, murmure, crie, suffoque, dans un dernier souffle de vie, comme une dernière tentative pour se rapprocher d’un autre, d’un « camarade », comme une dernière parole pour dire la misère, une parole sombre mais néanmoins à la recherche d’un espoir, quelque chose à quoi se raccrocher, aussi, comme une sorte de testament.

En ce qui concerne la mise en scène, Patrice Chéreau s’est inspiré d’une phrase de Koltès, dans une lettre à Yves Ferry, le créateur du rôle: « Ce que je vois, c’est un véritable emballement dans la tête, à toute vitesse, jusqu’à ce que mort s’ensuive ». Sur le plateau du Théâtre de l’Atelier, il n’y a presque rien. Lorsque le spectacle démarre, Romain Duris est allongé sur un lit d’hôpital, il a du sang sur le front, il dort. Puis il se redresse, il est tendu, semble souffrir, et après un long silence, il commence son monologue. « Tu tournais au coin de la rue lorsque je t’ai vu, il pleut, cela ne met pas à son aise quand il pleut sur les cheveux et les fringues, mais quand même j’ai osé… ». La mise en scène étant réduite au plus simple, tout repose sur ses épaules. Un lit, un comédien, un texte. On peut donc véritablement parler d’une performance d’acteur.

La Nuit juste avant les Forêts
De : Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang
Avec : Romain Duris
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumières : Bertrand Couderc
Son : Sylvain Copans
Coiffure : Mélanie Pereira
Régie générale : Gilbert Morel
Assistant à la mise en scène : Vincent Huguet
Équipe Atelier : Vincent Butori, Paul Rias, Patrick Clitus

Du 19 janvier au 20 mars 2011

Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin, 75 018 Paris – Réservations 01 46 06 49 24
www.theatre-atelier.com

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